Il ne suffit sans doute pas de sortir des « conventions, langage et grammaire cinématographiques hollywoodiennes » (encore faut-il se donner les moyens et le savoir-faire d'en faire) pour prétendre réaliser un chef-d'œuvre. Cette formule s'applique bien au film de Tariq Teguia, Gabbla, projeté dimanche soir à la cinémathèque d'Oran, en présence de Yacine Teguia (co-scénariste) et de 2 interprètes (Kader Affak et Ahmed Benaïssa) à cause de la polémique qu'il a soulevée dans le débat au sujet de ses lenteurs (le film est en plus extrêmement long), le pessimisme qu'il dégage, sans être pour autant un film noir, la propension à prendre, souvent, des distances extrêmement grandes avec ses personnages qui, même s'ils lancent des clins d'œil à l'actualité politique ou sociale, restent emprisonnés dans un voile de mystère. Dans ce film, techniquement dénudé de tout artifice, l'histoire de la rencontre fortuite entre un topographe en instance de divorce et une jeune fille (Ines Rose Djakou) originaire d'un pays africain en guerre (non cité nommément), candidate à l'émigration clandestine, est juste un prétexte et c'est la seule concession faite au cinéma narratif. Tout le reste n'est que plans figés, travellings à durée infinie, dialogues accessoires, etc. Le réalisateur ne se lasse pas de filmer la laideur mais il faut sans doute revenir à son premier film, Roma oualla n'touma (Rome plutôt que vous) pour en saisir la portée. Tous les ingrédients proposés dans ce deuxième film sont, sans conteste, déjà contenus dans le premier long métrage, une œuvre expérimentale réalisée avec une caméra numérique puis gonflée pour une projection en 35 mm. Mais ici, l'auteur a le mérite de saisir par l'image toute la complexité d'un pays en pleine mutation. La séquence très longue, vue d'une voiture qui fait le tour d'un très vaste quartier de la banlieue d'Alger, où toutes les maisons sont en chantier, est significative d'un devenir non accompli touchant du doigt, en arrière-plan de ce paysage défiguré, la spéculation foncière, l'argent facile, la violence, etc. Tout fonctionne comme si ce premier essai, ayant attiré l'attention des critiques à l'étranger, le réalisateur a voulu aller encore plus loin mais entre l'intention et le rendu il n'en est resté que les excès. « Prendre un café sans rien dire, cela nous arrive à tous mais en quoi le fait de voir cette scène au cinéma dérange ? », s'interroge Yacine Teguia en réponse à une critique acerbe du public. Et d'expliquer que « c'est connu, dans les pays du Sud, on dit toujours que le temps n'avance pas ». C'est que pour ses concepteurs, ce film colle justement à la réalité de l'Algérie avec ses peines mais aussi ses espoirs. « Nous montrons des gens ordinaires en train de travailler, le topographe, les sondeurs d'eau, les bergers, des jeunes activistes en train de débattre des aspects politiques à donner à leur mouvement, etc », explique-t-il pour défendre une thèse stipulant notamment que « rien dans ce film n'est inaccessible à la compréhension d'un spectateur algérien ». Rien, sauf peut-être la relation des personnages hommes-femmes. Les cahiers du cinéma, dans un article consacré par cette revue française spécialisée au premier film, ont relevé l'ambigüité (telle que montrée par le réalisateur) de la relation entre ses deux personnages principaux qu'il montre notamment allongés côte à côte. Un aspect qu'on peut mettre sur le compte de la pudeur. La même scène est reproduite dans Gabbla, mais là, les personnages sont montrés à moitié nus. Ici la scène est presque inutile car le héros du film devait juste accompagner la jeune femme vers la frontière pour lui permettre une volonté qu'elle avait clairement et consciemment exprimé, de retourner chez elle et laisser tomber son rêve d'atteindre l'Espagne. Le parcours est jonché d'embûches et ce retour signifie aussi que Gabbla n'est pas dénué de toute morale.