«Un film ne peut pas tout dire, cela suggère des choses. Aux spectateurs de faire la partie du chemin. C'est ma manière de procéder.» Eprouvant pour certains Inland ou Gabbla. Le nouveau film de Tariq Teguia, projeté en avant-première, dimanche soir à El Mougar a pris de court plus d'un dans cette course à la compréhension narrative. Et pourtant, au final, nous sortons presque soulagés, rassérénés par cette inquiétante bouffée d'oxygène. Car, si l'étouffement intérieur est là, il lui est opposé les larges pans de paysages que recèle notre beau pays. En dérive...Tariq Teguia déroute. Il se présente comme un ovni dans la nébuleuse cinématographie algérienne, se distinguant d'un Nadir Moknache ou encore de Lyès Salem, quasiment seuls réalisateurs algériens qui font le cinéma algérien d'aujourd'hui...Tariq Teguia bouleverse les codes cinématographiques que l'oeil du spectateur algérien s'est habitué jusque-là à regarder chez nos cinéastes nationaux. Universel, et tout aussi créatif, il déstabilise en donnant à voir une oeuvre novatrice sur un sujet tout aussi actuel. Mais offre-t-il bel et bien une vision propre à lui de l'Algérie, créée selon sa profondeur d'artiste résolument «contemporaine», celle dictée par un spécialiste de l'image car photographe par essence. L'Algérie de l'an 2000 est indolente, parfois molle, mais ne baisse pas les bras. Se cherche-t-elle encore? Une société «désenchantée» mais qui ne perd pas espoir. En tout cas, celui du renouveau du cinéma algérien repose en partie, désormais, sur ce jeune réalisateur, qui a prouvé que ce qui compte ce ne sont pas les moyens mais les idées... L'Expression: Tout d'abord, il y a une image qui nous frappe, les gens du bureau d'études sont souvent filmés de dos. Pourquoi? Tariq Teguia: C'est difficile d'expliquer pourquoi. Parfois les choses se présentent comme ça et je n'ai pas forcément de théorie. Cela me semble que ça dit des choses, une forme de pouvoir, en même temps, il y a des corps qui sont là qui se déplacent. Il y a un hors champ. C'était aussi une réflexion sur la notion de cadrage, du dedans, du dehors. Parfois, ils apparaissent dans le cadre, puis ils en sortent.. cela donne à poser la question: que veut dire cadrer, regarder? Ça engage plein de choses, mais je n'ai pas forcément une explication à donner. Peut-on dire que votre film est une sorte d'allégorie de l'Algérie qui est sur une bombe prête à exploser, comme le sous-entendent ces activistes ou intellectuels dans le film, ou ces mines sur lesquelles on risque notre vie si on est amenés à marcher dessus? Cette lecture n'était pas la mienne. Il s'agissait seulement de dire des paysages meurtris par les années de guerre, où les forêts ont été décimées et les paysans ont quitté leur terre sous la menace des intégristes. Voilà ce qui restait de la guerre comme traces. On est en même temps dans un pays qui n'est pas sorti d'affaire où une quantité phénoménale de problèmes est encore là, à régler: du travail, du logement, des libertés publiques, la liberté d'expression. Tout cela est encore en jeu en Algérie. Je n'ai pas fait cette association d'idées là, mais vous pouvez la faire, pourquoi pas.... Votre film est traversé de bout en bout de moments chargés de silence, pourquoi? Ce ne sont pas des silences. Ce sont des plans peu habités. Par contre, quand j'enlève le son, je donne la possibilité de faire entendre autre chose. Ce n'est pas du silence. Il y a toujours ce qu'on appelle techniquement un fond d'air et ensuite vous avez un «paysage» d'événements sonores ou visuels qui apparaissent. Diminuer le niveau d'écoute, à un moment donné, c'est permettre d'écouter davantage après. Ne pensez-vous pas que la fille immigrée baisse trop vite les bras en décidant de retourner chez elle? Vous faites une lecture trop rationnelle. 90% des candidats à l'immigration ne réussissent pas. Alors que font-ils? En même temps, il lui arrive pas mal de choses avant qu'elle ne prenne cette décision. Ses amis sont passés sur un champ de mines, elle est remontée de l'Afrique subsaharienne. C'est quelque chose! Votre film est marqué d'un trop-plein d'ellipses. Qu'en pensez-vous? Un film ne peut pas tout dire, cela suggère des choses. Aux spectateurs de faire la partie du chemin, c'est en tout cas ma manière de procéder. Mais c'est vrai par rapport à un cinéma classique, il y a plus d'ellipses, mais c'est évident de ce point de vue, cela peut dérouter les repères habituels des spectateurs Que répondez-vous à cette critique «La forme est géniale mais elle domine le fond»? Déjà, il ne faut pas confondre, fond et scénario. Le fond et la forme, c'est la même chose. On ne peut pas me reprocher à un moment donné un manque de fond. Car dans ce cas, ce serait un film esthétisant ou des images qui se regarderaient. Et je ne crois pas que c'est le cas. Le film va-t-il sortir dans les salles algériennes? J'espère! Il faut trouver une salle, ce n'est pas encore gagné. Mais j'espère très rapidement. Que signifie le titre du film Gabbla ou Inland? Inland, en anglais signifie l'arrière-pays, c'est la profondeur du pays. Le titre est inspiré d'un poème In lands (I never saw thez say) de la célèbre poétesse américaine Emily Dickinson que je vous invite à lire, vous aurez des grands moments de poésie. C'est parti de ces deux vocables In et Land. Mais en arabe, c'est un autre sens. Il était impossible de traduite littéralement. La traduction est une trahison.