La musique raï doit-elle suivre l'air du temps ou au contraire rester celle de nos parents? Le raï est un genre musical rural, apparu au début du siècle dernier dans la vallée du Chélif et plus précisément dans la ville de Relizane. A sa naissance, le raï était un chant typiquement et spécifiquement féminin, réservé à des cercles fermés de qui exprimaient leurs sentiments, leur nostalgie ou leur vécu par des paroles qui provenaient du fin fond de leurs entrailles sans pour autant être abusives ou licencieuses. Vers 1870-1871, la dramatique situation coloniale de l'Algérie aidant, et la propagation de la misère, de la pauvreté, du vaga et de la prostitution étant pour beaucoup, il y eut un relâchement au niveau des moeurs et un égarement encouragé par le colonisateur qui ont fait que le raï sorte du cadre respectable et familial pour devenir un genre «vulgaire» propre aux cabarets et boîtes de nuit. Avec l'apparition du raï, les «chikhate» - nom donné aux chanteuses de ce genre - sont apparues telles chikha Zohra Relizania, Aïcha Relizania, Yamina Relizania, Mama El-Abassia, Kheira El-Abassia, Remiti et autres chikhate. Puis le raï n'a plus été propre aux , puisque même les hommes s'y sont mis et ainsi, vers les années 50, il y eut une petite tentative d'évolution du raï en y introduisant un orchestre puis des instruments de plus en pus modernes, il y eut donc cheikh Hamada, cheikh Naâm, El-Khaldi, Ahmed Saber, Blaoui El-Houari, Benzerga, puis vers les années 60, 70, Boutaïba, Bouteldja, Bellemou, et d'autres noms qu'il serait trop long de citer. La véritable explosion de la musique raï a été en fait enregistrée au début des années 80 avec l'apparition de la vague des «chebs» et «chabat», à l'opposé des «cheikhs» «chikhate». Peut-être dans le souci de réhabiliter un genre musical qui fait partie de notre patrimoine culturel, mais qui a été banni de la scène artistique, ou peut-être pour réorienter notre jeunesse vers notre musique et notre culture au lieu de la laisser se tourner vers la culture occidentale au point d'en faire sa propre culture et renier ses origines, un léger soubresaut s'est fait sentir de la part des responsables et organisateurs de concerts qui se sont mis à organiser des galas de raï d'abord en 1985 avec le Festival du raï d'Oran, puis en 1986 à Annaba, et ensuite en 1987 à Alger et qui a été transmis à la télévision, ce qui a d'ailleurs provoqué un tapage médiatique des plus controversés. Après cela, beaucoup de noms apparurent comme le défunt cheb Hasni, assassiné sauvagement alors qu'il était au top de la gloire, qui, même mort, a laissé des chansons reprises et apprises par coeur par une jeunesse en mal vie permanente, cheb Nasro, le duo Fadhéla et Sahraoui, chebba Zahouania, cheb Mami, cheb Bilal, cheb Hassène, cheb El-Handi, chabba Kheïra, chebba Zohra, et tout récemment, une chabba Djanet qui promet de faire un tapage estival avec des tubes de l'été qui en font déjà bouger plus d'un et qui a déjà gagné l'estime et l'approbation de la télévision algérienne au grand bonheur de notre jeunesse en mal d'amour, de sentiment et de distraction, mais au grand malheur des antagonistes de ce genre musical qui voit en cela une dégradation des moeurs et une marque d'irrespect envers nos traditions et notre religion. Ce fut surtout l'apparition publique et médiatique de Khaled Hadj Brahim, devenu cheb Khaled par la suite, pris en main par une maison d'édition étrangère et des managers étrangers qui, animés par on ne sait quelles intentions, bonnes ou mauvaises, ont fait de l'anonyme chanteur des boîtes de nuit d'Oran, la star mondiale d'aujourd'hui que tout le monde connaît ou du moins, dont on a entendu parler. Envié par certains pour la place qu'il occupe aujourd'hui sur la scène artistique, boudé par d'autres parce qu'il renie parfois son appartenance à la culture algérienne jusqu'à s'afficher avec un drapeau autre que le drapeau national, méprisé par d'autres parce qu'il véhicule une fausse image de l'Algérien en le rendant inculte, ignare et incapable de raisonner ou d'aligner deux phrases correctement, cheb Khaled a, quand même été à l'origine de la «mondialisation» de la musique raï et cela, personne ne pourra le nier. Ainsi, malgré ce qu'en pensent les uns ou les autres, pour une raison ou pour une autre, le genre raï a dépassé les frontières et atteint un degré d'évolution qui a fait qu'il soit connu aussi bien en Orient qu'en Occident, en Amérique, en Europe ou en Asie. Des noms comme Khaled, Mami, Faudel, ont permis au raï de s'allier à d'autres musiques universelles pour en faire des cultures mixtes, hétérogènes dans des origines mais, homogènes dans les objectifs. Les noms de nos chanteurs algériens se sont vu afficher avec des noms de stars internationales, sont passés en première de leurs concerts et ont même formé des duos à l'échelle internationale comme ce fut le cas de Khaled avec une chanteuse indienne, Jean-Jacques Goldman, Amr Diab et autres noms, Mami avec Sting, Kamel et plus récemment avec Samira Saïd...La chanson algérienne est donc devenue universelle ré, mal gré! Sans vouloir toucher à l'amour-propre de certains, ou offenser le «nationalisme» d'autres, sans vouloir trop se pencher sur la susceptibilité des uns quant à la dégradation des moeurs, à l'utilisation de termes vulgaires, ou au renvoi à des thèmes incompatibles avec notre religion tels l'alcool, l'amour interdit ou les liaisons illégales - avec lesquels d'ailleurs beaucoup ne sont pas d'accord - il est indéniable que le raï a atteint l'universalité et fait parler de l'Algérie dans pratiquement tous les pays du monde et n'est plus ce patelin inconnu du fin fond de l'Afrique, sans âme ni culture que tout le monde ignore et sous-estime!