«Je suis le meilleur réalisateur du monde. En même temps, je n'en suis pas certain, mais je sais que c'est le cas.» Pas besoin d'avoir vu le film AntiChrist du Danois le plus manipulateur d'Europe (mais au talent jusque-là confirmé), pour avoir une idée sur le pétage de plomb dont a été victime ce cinéaste... «Je n'avais pas d'autre choix que de réaliser ce film, c'est la main de Dieu, et je suis le meilleur réalisateur du monde», le ton est donné dès le début de la conférence de presse où il était venu, tremblotant, manquant de ce courage si perceptible chez son actrice Charlotte Gainsbourg, à qui serait décerné illico presto la Palme de l'abnégation. Car il en fallait pour accepter de jouer le rôle d'une mère qui perd la boule, à la suite de la chute mortelle de son enfant, pendant qu'elle était dans la chambre d'amour avec le père (William Dafoe). Le psy de mari lui propose une série d'exercices d'exploration de ce «disque dur» buggé depuis cette tragique nuit. Ils s'isolent en pleine forêt, dans un chalet baptisé «Eden». Au secours Freud! Lars pense que c'est par la nymphomanie que sa «patiente» peut guérir de ses peurs...Qu'à cela ne tienne, on va essayer l'onanisme champêtre de préférence sous un grand chêne. Mais ça ne suffit pas, apparemment. Alors, c'est Polanski qui est pillé et la petite Gainsbourg se transforme en Rose Mary's baby qui castre son mari avec une paire de ciseaux. La vieille théorie, éculée, qui dit qu'il faut cibler l'origine du mal, est mise au (mauvais) goût du jour: castration et autoexcision sont au menu et de la manière la plus explicite possible. Et comme la posologie du Dr Lars ne semble pas suffisante, on passe à la vitesse supérieure: l'épouse névrosée troue le tibia de son mari avec une chignole avant de lui sceller une meule de rémouleur dessus, avec un écrou bien serré! Mais là c'est Rambo ou Mac Gyver qui prend le relais...Et comme le film s'appelle AntiChrist, il n'y serait donc plus question du sang du Christ, célébré en messe...Donc, pas d'hémorragie en vue, le mari réussit même à se débarrasser de la meule et à marcher et à tuer et à brûler sa femme possédée par le démon. «J'entretiens une relation mystique avec, (le cinéaste russe, mort en 1986, auquel il dédie AntiChrist). J'ai également un lien très fort avec, bien que lui prétendait n'en avoir aucun avec moi, ce qui me va aussi tout à fait.» Mais comme l'énergumène ne doute de rien et qu'il a trituré Nietzsche depuis l'âge de douze ans, il annonce devant la presse médusée ou presque. «C'est une évidence, je suis le meilleur réalisateur du monde. En même temps, je n'en suis pas certain, mais je sais que c'est le cas.» Un collègue et ami, sortant de son devoir de réserve, (il officie aussi dans le festival) n'a pu se retenir: «Et, pourtant, j'aime quasi tout du bonhomme. Mais là, il s'est mis à penser idiot et ridicule. Jusqu'à en perdre son cinéma. A force de chercher la provocation, il en a oublié d'essayer de comprendre ce qu'il voulait raconter. La femme, figure du mal? La relation entre l'Homme et la Nature? Entre le trivial et le sacré? Entre le spirituel et la pulsion? Et Dieu dans tout ça? C'est par où la sortie?» La sortie? Si vous n'avez pas une idée de la peinture de Jérome Bosh ou emprunté les chemins de traverse choisis par ce cinéaste devenu des plus réactionnaires, il vous faudra relire Marcuse pour constater l'étendue du délire antifemme de cet homme qui vit une dépression depuis plus de trois ans... Hélas, nous en faisons aussi les frais, car jamais un réalisateur n'aura fait peu cas de son public, avec la mauvaise manière en prime. «Il y a quelque chose de sale et d'étrange. Le sexe peut se révéler très macabre. On perçoit bien cette dimension ici», dit Lars Von Trier devant la presse, pour signer son acte. Prompt rétablissement, Lars!