«Transcrire semble être une étape incontournable de nos jours pour la sauvegarde de ce patrimoine. Sous la direction de M.Redouane Mohamedi, directeur de l'établissement Arts et Culture, une rencontre autour du thème «L'introduction à la nouba constantinoise», animé par le docteur Mohamed Saïd Zeroula et un autre sur «L'histoire des hommes et de la prise de conscience culturelle» par Abdelhakim Meziani a été organisée, hier mercredi à la salle Laâdi-Flici devant un parterre de journalistes. Toutefois, à l'issue de ce rendez-vous et au vu de la qualité des questionnements, il est à constater qu'une préoccupation réelle dans une projection certaine existe au titre des projets en cours dans la sphère culturelle. Lors de la rencontre tenue dans cet agréable espace, M.Abdelhakim Meziani a estimé que «les mosquées du Vieil Alger, à travers les voix de leurs muezzins et récitants du Saint Coran, qui interprétaient aussi des chants religieux et de la poésie mystique sur des airs tirés de la musique andalouse, ont eu un rôle "vital" et déterminant dans la sauvegarde et la propagation de ce genre musical. Même les muezzins et les récitants du Coran (moudjawidine), qui étaient connus pour leur belle voix, avaient beaucoup de connaissances sur les différents airs de la musique andalouse», a-t-il affirmé. «La mosquée a joué un rôle vital et déterminant dans la sauvegarde et la propagation de ce patrimoine musical à cette époque», a-t-il relevé, évoquant les veillées organisées par des imams à l'occasion du mois sacré du Ramadhan et de la célébration de la naissance du prophète Mohammed (Qsssl) dans le mausolée de Sidi Abderahmane et d'autres mosquées. Il a indiqué, à cet égard, que «des poèmes mystiques de grands maîtres soufis, dont les mots ne sont que des louanges à Dieu et au Prophète, étaient récités sur des airs de musique andalouse sans instruments de musique, notamment sur les modes zidane, moual ou djarka». Et pour M.Mohamed Saïd Zeroula «Constantine est considérée à juste titre comme un conservatoire à ciel ouvert. Des maîtres illustres ont voué une passion sans fin, une totale dévotion à cet art sublime, pour le transmettre telle une flamme sacrée aux générations que nous sommes. Ils seront à jamais les figures légendaires de cette épopée fantastique», a-t-il ajouté. «Je tiens également à exprimer ma profonde gratitude à toutes ces associations et à tous ces anonymes, qui de façon désintéressée et souvent avec très peu de moyens, ont contribué à pérenniser et sauvegarder plusieurs siècles de création lyrique. Je crois qu'il est de notre devoir de parler de tous ces gens, de reconnaître leur mérite, de les considérer à leur juste valeur, car grâce à eux nous disposons aujourd'hui de ce legs fabuleux, dont nous avons le devoir aussi de préserver et de transmettre en essayant, comme ceux qui nous ont précèdés, d'être fidèles, près de la vérité, de l'authentique». Et d'enchaîner: «Permettez-moi de faire l'impasse sur l'histoire de cette musique, de son arrivée au Maghreb avec les conquêtes arabes, Zyriab, Ibn Badja, Ibn Ghaïbi, et tous ces noms aussi illustres les uns que les autres, et qui ont jeté les bases d'une musique, qui a connu un essor fulgurant pendant près de huit siècles en Andalousie et au Maghreb. Cela représente en effet, une entreprise des plus hasardeuses, tant les écrits manquent cruellement, un chemin des plus épineux, où très souvent le mythe et l'anecdote se mêlent à la réalité». «A l'instar des écoles d'Alger et de Tlemcen, le malouf représente le répertoire des noubas. La nouba est une suite de pièces musicales vocales et instrumentales, interprétées dans un cadre modal bien établi, se déroulant dans un ordre immuable, du plus lent au plus vif. Et le sens donné au vocable malouf, qui pour certains auteurs, signifie musique composée (mouashah et zadjal) pour d'autres, ce qu'on est habitué à écouter (ma oulifa samaouhou)», fait-il savoir. En définitive, «ni Tunis ni Tripoli, qui pourtant utilisent la même terminologie pour désigner leur répertoire andalou respectif, n'ont pu nous éclairer davantage et la nouba constantinoise, à la différence de Tlemcen et d'Alger, ne possède ni daïra, ni meshalia, ni de estakhber essanaâ, ni toushiat el insiraf, ni toushiat el kamal. Le répertoire malouf compte dix noubas plus ou moins complètes, un peu moins qu'Alger et Tlemcen», fait-il remarquer. Par ailleurs, il faut savoir que dans un passé récent, la nouba constantinoise ne comprenait que quatre mouvements: m'cedder, derdj, btayhi, et le khlass. Mais juste après l'Indépendance, sous l'égide du ministère de la Culture et dans le souci de préserver ce patrimoine de la déperdition, les cheikhs de l'époque ont décidé d'unifier la nouba pour les trois écoles, du moins concernant ses cinq mouvements, comme cela a été le cas pour nos voisins de Tunisie et du Maroc. «C'est ainsi que le cinquième mouvement a fait son apparition à Constantine», a-t-il ajouté. A l'état actuel des choses, il est urgent et nécessaire de procéder à une rétrospective rapide et critique des principales questions relatives à notre musique, celles ayant trait aux modes, à la structure de la nouba, et autres sujets à polémique. Il faut encourager le travail de collecte patient et rigoureux avec l'aide des praticiens du cru, et des rares chouyoukh qui sont encore en vie, pour apporter les nécessaires éclairages aux nombreuses zones d'ombre persistantes. Transcrire semble être une étape incontournable de nos jours pour la sauvegarde des mélodies de cette gigantesque anthologie. «Les avantages sont tellement évidents et si nombreux, qu'il serait très difficile de les nier», propose-t-il. Mais qui doit transcrire, et pourquoi transcrire une musique orale qui a survécu au temps et aux hommes, et dont l'âme et le génie découlent probablement de son mode de transmission? Succomber à un mimétisme occidental aveugle et irréfléchi? risque de travestir notre musique, de nous éloigner de nos repères, de nous éloigner de nous-mêmes. «C'est donc fort de ce constat que cet établissement propose aujourd'hui la mise en place de ces forums car la sphère culturelle a plus que jamais besoin de réfléchir à la mise en place d'un modèle culturel en connexion avec l'environnement socioéconomique actuel, mutualiser les ressources existantes, renforcer les capacités managériales et penser le positionnement régional en matière d'action culturelle», a fait savoir M.Redouane Mohamedi. Chaque intervenant a apporté sa lecture et sa touche sur la situation de la musique de notre pays, en général, avec une autre conception, un autre regard et une autre sensibilité.