Le film, tant attendu de la réalisatrice algérienne est enfin sorti à Alger. Au moment où le sort du matériel cinématographique du Caaic demeure toujours incertain et en perdition dans les locaux de l'ancienne entreprise cinématographique et où les réalisateurs qui ont bénéficié d'une aide financière pour réaliser des films pour le compte de l'Année de l'Algérie en France, reçoivent une note les invitant à accélérer le tournage de leurs films, une cinéaste défie la réalité quotidienne des réalisateurs algériens et sort son film en plein lancement de la grande manifestation culturelle de 2003, alors qu'elle n'est même pas inscrite au programme des festivités culturelles. Cette cinéaste, c'est Yamina Bachir Chouikh, une artiste qui a l'âge de la Révolution et qui a décidé, désormais, d'inscrire avec son film Rachida ses lettres de noblesse sur les tablettes du cinéma algérien. Un film audacieux réalisé dans un contexte difficile qui raconte l'histoire d'une jeune institutrice issue d'un quartier populaire et qui, un jour, est abordée par un de ses anciens élèves, qui lui ordonne de poser une bombe dans son école. Malgré la peur, elle refuse d'obtempérer. Les criminels lui tirent dessus en la laissant pour morte. Elle survit et se réfugie avec sa mère, dans un village en croyant fuir la violence terroriste. La-bas, les deux femmes doivent faire face à une société archaïque, découvrant une population hantée par la violence, la peur et le désespoir. Au-delà du style «actualité» de l'oeuvre de Yamina Bachir Chouikh, le film demeure une fiction très proche de la réalité où chaque scène correspond à une situation née de la décennie rouge du terrorisme. La réalisatrice a voulu surtout, à travers ce film, rendre hommage à ces jeunes enseignantes qui ont été égorgées lors d'un faux barrage en se rendant à leur lycée. Mais la réalisatrice ne s'attarde pas trop sur la violence, préférant laisser parler les personnages et surtout faire transparaître leur crainte, leur haine, leur complicité et quelquefois, leur joie dans une société régie par l'archaïsme d'une tradition séculaire et la peur d'un terrorisme social. Yamina Chouikh, montre surtout une société dépourvue d'hommes où la femme est sacrifiée, exploitée et massacrée. Comme pour L'arche du désert, de son mari Mohamed Chouikh, le film de Yamina se termine par un massacre...et un espoir qui renaît de ses cendres pour reconstruire une nouvelle Algérie. Pour un premier essai cinématographique, ce fut une réussite. Sur le plan thématique d'abord, puisque la réalisatrice a réussi en une heure et demie à décrire le grand drame de l'Algérie. Une femme divorcée, victime de la société, une jeune enseignante blessée, un homosexuel qui défend une cité, un Etat absent, une victime violée par les terroristes et qui est rejetée par son père, une jeunesse dévoyée, la pénurie d'eau et surtout un terrorisme sans visage. La réalisatrice a ensuite excellé dans la réalisation, avec une technique très sobre, des mouvements de caméra très étudiés, des inserts calibrés, et surtout un montage très apprécié. La musique d'Anne Olga Pass pas très présente, intervient néanmoins au bon moment de l'histoire. Mais la plus grande satisfaction du film demeure la bonne performance dramatique d'Ibtissam Djouadi, une diplômée de l'Inadc, qui a prouvé à travers ce film qu'on pouvait encore compter sur elle à l'avenir. Au-delà des clichés qu'on a bien voulu lui faire porter, Rachida est une oeuvre dramatique majeure, qui ne fait pas du thème du terrorisme son souci principal. La réalisatrice qui a réussi le double défi de parler de son peuple meurtri et déchiré, a voulu surtout répondre à tous ceux qui n'avaient pas cru en sa bonne étoile. Aujourd'hui, Rachida a obtenu 16 grands prix dans le monde et concourt le 11 février prochain, sans lobbying, ni campagne de promotion pour être nominée à l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en mars 2003.