La seule question qui vaille aujourd'hui est celle de l'avenir de nos relations avec Paris Depuis 1962 à ce jour, les relations entre l'Algérie et les France ont alterné des moments de ferveur et des périodes de ressac. A l'occasion de la visite officielle du président F.Mitterrand en Algérie, en octobre 1981, le ministre français des Relations extérieures, C.Cheysson avait plaidé pour une refondation des relations algéro-francaises et la France avait accepté de payer, à partir de 1982 le gaz algérien à un prix supérieur à celui du marché. En 2003, Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac tombent d'accord pour inscrire le partenariat bilatéral dans le marbre afin d'en faire un modèle de coopération Nord-Sud d'une nouvelle génération. La nature de la colonisation, la violence du colonisateur, la dépossession de l'Algérien de sa propre terre, de sa langue, de ses traditions, de sa culture, de sa personnalité et de tous les éléments constitutifs de son identité ont marqué profondément et durablement les populations algériennes à ce jour. Depuis une quinzaine d'années maintenant, un sérieux travail de mémoire a été entrepris par les historiens. Ces hommes et ses femmes travaillent sans parti pris, décortiquent les archives disponibles, confrontent leurs perceptions respectives et parviennent à des conclusions convergentes, comme le caractère globalement négatif de la colonisation, dans la mesure même où le bilan de celle-ci ne saurait se résumer aux infrastructures léguées aux populations algériennes au moment de l'Indépendance. La France a construit des ponts, des routes carrossables, des hôpitaux, des établissements scolaires et universitaires, laissé une agriculture tournée vers l'exportation mais néanmoins prospère, un embryon d'industrie manufacturière. Mais tous ces équipements collectifs étaient destinés principalement à la minorité européenne (et principalement au lobby colonial), même si certaines catégories d'Algériens ont pu en bénéficier. Aucun gouvernement, ni de la IIIe République ni surtout de la IVe République n'a tenu ses promesses d'amélioration de la condition matérielle des Algériens ni satisfait leurs aspirations à l'égalité des droits. La trahison coloniale fut même, telle que les tenants de l'assimilation et ceux de l'institution d'un Etat algérien rattaché à la France durent rallier les deux fractions favorables à l'insurrection armée: le courant activiste (essentiellement conduit par les anciens de l'OS et du Crua) et le courant centraliste. L'Algérie est un pays souverain Aujourd'hui, l'Algérie est indépendante. C'est un pays souverain, maître de sa politique interne comme de ses relations internationales. Elle choisit ses partenaires en fonction de ses intérêts militaires, stratégiques, économiques et culturels. L'Algérie a cependant institutionnalisé ses relations avec la France à travers, non seulement le nombre de conventions bilatérales conclues depuis 1962, mais aussi par le truchement de l'Accord de libre-échange conclu avec l'UE, en 2002, qui fait de la France le premier partenaire de l'Algérie. Par ailleurs, notre pays s'inscrit peu ou prou dans le projet «Union pour la Méditerranée» (UPM). Il existe donc une dynamique qui dépasse la volonté subjective des acteurs politiques du moment. Dans ces conditions, subordonner la normalisation des relations avec Paris à un préalable acte de repentance de la France officielle pour les crimes commis pendant la colonisation, alors que le président Sarkozy n'a eu de cesse de marteler sa résolution de n'en rien faire, n'est ni réaliste ni digne. Il n'appartient pas à l'Algérie de harceler les autorités françaises pour qu'elles fassent acte de contrition à propos des forfaits perpétrés par la France coloniale entre 1830 et 1962, alors qu'elles s'y refusent. En revanche, le travail des historiens doit se poursuivre, les activités des ONG (dont l'association du 8 Mai 1945) également. Mais l'Algérie n'a pas besoin de la repentance de la France pour veiller à ce que sa propre histoire soit restituée de façon objective et enseignée aux jeunes générations dans une perspective d'éveil de leur conscience nationale. Imagine-t-on le président Houari Boumediene, nationaliste ombrageux, s'il en fût, conditionner le redémarrage des relations bilatérales à une préalable repentance de la part de la France. Il était trop fier et trop digne pour quémander quelque faveur que ce soit à qui que ce soit. Ce qui importait à ses yeux, c'était l'approfondissement du dialogue avec Paris, afin que l'Algérie puisse évaluer ses chances de développement. Le prix du sang versé par les Algériens pour leur indépendance justifiait, selon lui, que l'Algérie se débarrassât à tout jamais de quelque complexe à l'égard de la France. Le président Bouteflika, ancien moudjahid, à qui les membres de l'Association du 8 Mai 1945 ne peuvent vouloir donner des leçons de patriotisme, est dans le même état d'esprit. S'est-on avisé qu'en exigeant de la France officielle l'acte de repentance, on réduit l'histoire coloniale à un face-à-face colonisateurs/colonisés. Cette vision des choses ne revient-elle pas à absoudre les Algériens qui ont joué un rôle actif dans la perpétuation de l'ordre colonial (bachaghas, caïds et leurs descendants). En demandant réparation à la France, ne fait-on pas passer par pertes et profits les crimes commis par les Algériens contre d'autres Algériens, qui étaient pourtant engagés en première ligne dans le combat pour l'Indépendance. N'est-ce pas une façon de tenir pour négligeable le phénomène contemporain le plus funeste qui soit: le nombre sans cesse croissant de faux moudjahidine et leurs ayants droit ainsi que le nombre de faux martyrs, c'est-à-dire ceux qui furent tués au cours des combats avec l'ALN ou éliminés pour prix de leur trahison à la cause nationale mais qui sont toujours inscrits sur la liste des chouhada. Que pense enfin, l'Association du 8 Mai 1945 de certains responsables algériens qui officiaient et officient toujours aux sommets de l'Etat, alors qu'ils sont en réalité depuis 1962, une sorte de cheval de Troie d'officines étrangères interlopes dans l'administration algérienne. Ce tableau serait assurément incomplet s'il passait sous silence la minorité européenne présente en Algérie en 1962. Les Européens d'Algérie n'étaient pas tous des privilégiés du régime colonial. Beaucoup faisaient partie des classes moyennes et les autres étaient, soit de petits commerçants, soit des artisans, soit encore des salariés. Ils avaient le droit de rester en Algérie, au lendemain de l'Indépendance et de jouir exactement des mêmes droits que les Algériens. Ils étaient nés en Algérie, leurs parents et leurs grands-parents aussi. La plupart d'entre eux n'avaient conservé qu'une attache précaire avec la métropole. Du reste, à l'occasion du Congrès de la Soummam (c'est-à-dire au beau milieu de la GLN), Abane Ramdane (fondateur de l'Etat algérien dont le patriotisme et l'amour de l'Algérie resteront à jamais au-dessus de tout soupçon) entendait fédérer toutes les populations et rêvait d'une Algérie multiculturelle, multiethnique, multiconfessionnelle et multilingue qui aurait durablement rayonné sur l'espace méditerranéo-européen. Nombreux sont les Français parmi lesquels le Pr Mendouze, le Pr. Gautray, le Pr Venezia, etc. qui désiraient demeurer en Algérie pour former les générations futures. Ils ont été contraints à l'exil par des Algériens qui voulaient seulement prendre leur place; ces mêmes Algériens avaient toujours collaboré avec la France coloniale avant de s'opposer frontalement au courant nationaliste. Il ne s'agit pas ici de juger, encore moins de condamner, mais de rappeler une vérité historique que personne n'a le droit d'occulter. Les facteurs qui militent en faveur du renforcement des liens entre Alger et Paris sont essentiellement des facteurs objectifs qui transcendent les jeux politiciens visant à instrumentaliser les relations bilatérales à des fins totalement étrangères aux intérêts des deux pays. La proximité géographique, la densité des relations culturelles, le volume des échanges commerciaux (environ 4 M Eur d'exportations de la France vers l'Algérie depuis 2004) la présence en France de quelque 2,5 millions d'Algériens dont la plupart sont binationaux, le nombre très élevé (de l'ordre de centaines de milliers) d'Algériens résidant en Algérie et ayant acquis la nationalité française au cours de ces vingt dernières années témoignent de la vigueur de ces liens. Aucune formation politique, aucun courant d'opinion ne saurait aller à rebours de cette tendance. C'est sur ce terreau que doit refleurir une dynamique des relations bilatérales prenant en compte les intérêts bien compris de nos deux peuples. Les responsables algériens ne seront pas mieux perçus par leurs concitoyens en laissant se dégrader les rapports avec Paris ni en les abandonnant au point mort, si d'aventure la France s'obstinait à ne pas accéder à la demande algérienne de repentance exprimée par certains courants qui se voudraient plus nationalistes que le président de la République, le Premier ministre et tout récemment le président de l'APN. Les responsables algériens gagneront en légitimité le jour où ils parviendront à instaurer le pacte social interne, indispensable à la cohésion de la nation. Dans les fléaux qui frappent aujourd'hui la société algérienne, l'ancienne puissance coloniale n'a aucune part de responsabilité. Prenons garde de ne pas faire acte de diversion. Le regard porté vers l'avenir La seule question qui vaille aujourd'hui est celle de l'avenir de nos relations avec Paris. Quelle est la vision algérienne de sa coopération avec Paris? Qu'attendons-nous de nos amis français sur les plans économique, culturel, scientifique? Sommes-nous capables de définir en commun une gestion des flux migratoires qui soit mutuellement bénéfique? L'Algérie a-t-elle ou non besoin de la France pour réformer son système d'enseignement et de formation professionnelle, totalement sinistré, en dépit de l'autosatisfaction inébranlable des responsables du secteur? A-t-elle besoin de la France pour remettre à niveau ses entreprises publiques et privées? Et aussi pour concevoir et fabriquer des «produits verts» qui auront seule vocation à être déclarés conformes au moment où ils pénètreront à l'intérieur des frontières communes de l'UE. L'expertise de la France (2e puissance agricole du monde) n'est-elle pas nécessaire à l'agriculture algérienne qui demeure à la traîne de celles de tous les pays comparables, alors que notre dépendance alimentaire croît régulièrement malgré les dizaines de milliards de DA engloutis par le secteur, chaque année? La généralisation de l'usage de la langue française (en tant que langue étrangère s'entend, dès lors que personne ne remet en cause le caractère officiel et national de la langue arabe dont la nécessaire adaptation et évolution au monde, soit dit au passage, semblent le cadet des soucis des pédagogues officiels) ne correspond-il pas au voeu d'une majorité de familles algériennes qui voient bien le déclassement social et culturel de leurs enfants arabophones? Pour faire face aux défis de l'économie du savoir et de la connaissance, l'Algérie n'a-t-elle pas besoin de créer de Grandes écoles et des lycées qui y préparent. La France ne serait-elle pas d'un apport décisif en la matière? (*) Professeur d'enseignement supérieur