Avec cette mise en faillite, près de 4000 postes d'emploi sont directement menacés. La décision prise par le tribunal de commerce de Blida de prononcer la faillite le 14 juin dernier du groupe Tonic Emballage a sans aucun doute plongé dans une mort clinique ce qui était considéré par son président-directeur général déchu, Abdelghani Djerar, comme le «premier complexe papetier d'Afrique». La mise à mort d'une entreprise de cette taille et de cette envergure aurait suscité un débat national sous d'autres cieux. Tonic Emballage possède cependant cette particularité de ne pas avoir été foudroyé par la crise financière internationale. Les racines du mal remontent à bien plus loin. Elles tirent leurs origines dans des problèmes financiers, une dette estimée à près de 900 millions de dollars doublée d'une crise de la ressource humaine loin de répondre aux critères internationaux de gestion moderne des entreprises promises au rang de leader dans leur domaine. Et c'est l'ex-patron du groupe, en personne, qui l'avoue: «Le personnel n'était pas formé pour faire fonctionner une usine constituée de machines de dernière génération...Raison pour laquelle les objectifs de développement tracés par l'entreprise n'ont pas été atteints en temps voulu. La prise en charge sur fonds propres de tous les frais d'approche est également un autre facteur à l'origine des retards enregistrés dans le remboursement des crédits.» Une affaire qui a tourné en eau de boudin si l'on se fie aux premières déclarations de l'ex-patron de Tonic Emballage qui affirmait au mois d'août 2005: «Fabriquer du papier est enfin possible en Algérie. Dans quelques mois seulement ce rêve caressé depuis vingt ans deviendra réalité.» C'était à l'occasion d'un séminaire organisé à l'hôtel El Djazaïr (ex-Saint Georges) sous le thème «L'industrie papetière en Algérie: Passé, présent et perspectives». Tout semblait baigner dans l'huile mais c'était sans ignorer la dure loi du marché et du savoir-faire. Dès la fin de l'année 2005, on annonçait que la nouvelle unité de production flambant neuve implantée à Bou Smaïl, à 45 kilomètres de la capitale, allait permettre au nouveau «géant africain du papier» d'assurer 60% des besoins nationaux en papier tout en générant des milliers d'emplois. A peine 18 mois après, le P-DG de Tonic Emballage s'est retrouvé empêtré dans des démêlés judiciaires qui lui ont valu une incarcération, faute de ne pas avoir pu honorer le remboursement du prêt contracté par Tonic Emballage auprès de la Badr, la Banque de l'agriculture et du développement rural. C'est désormais la descente aux enfers! Un événement remarquable viendra donner un aperçu des difficultés éprouvées par l'entreprise: la grève générale du mois de novembre 2007 qui a immobilisé la totalité de la chaîne de production. Elle révèlera des moyens archaïques de gestion du personnel et une majorité d'ouvriers payés tout juste au Smig. La direction de Tonic Emballage avait tenté d'imposer un plan de restructuration dénommé «Plan de travail partiel» qui consistait à faire travailler 15 jours sur 30 les ouvriers de l'entreprise sans compensation de salaire. Ce qui a tout logiquement soulevé l'indignation des travailleurs. «La plupart des salariés touchent environ 12.000 DA. La vie est suffisamment chère et difficile. On a du mal à boucler les fins de mois. Qu'est-ce que cela sera avec 6000 DA?» nous avait déclaré à l'époque un des grévistes. Tonic Emballage, qui a croulé sous des dettes astronomiques, n'est pas un cas à part dans le secteur de l'industrie papetière. Faut-il rappeler le calvaire enduré par les 1200 salariés des 13 unités de production du groupe industriel du papier et de la cellulose qui n'avaient pas perçu leurs mensualités pendant plus de cinq mois durant l'année 2007. Des arriérés de salaires qui étaient conditionnés par la dissolution du groupe qui avait cumulé un découvert bancaire estimé à plusieurs milliards de dinars à l'époque. Il était question qu'il puisse bénéficier d'une enveloppe de 35 milliards de dinars dans le cadre de la loi de finances 2005 pour lui permettre de se remettre à flot. L'arrivée d'une nouvelle équipe au département des finances a vu les pouvoirs publics se désengager de cette affaire. A bout de souffle, les 13 unités de production disséminées à travers le territoire national, Baba Ali, Souk Ahras, El Harrach, Mostaganem, Saïda...se sont retrouvées éligibles à la privatisation. Gipec, qui assure près de 40% des besoins du marché national, ne tourne en fait qu'à 45% de ses capacités. Il assure une production qui s'élève à 140.000 tonnes par an sur les 300.000 prévues. L'accumulation de sa dette est due essentiellement à son extrême dépendance par rapport à ses importations en matières premières. Une facture estimée à quelque 325 milliards de dinars. De surproduction en sureffectifs, les 13 unités du groupe ont sombré dans des goulots d'étranglement qui les ont asphyxiées financièrement. Face aux grandes puissances industrielles de la production de la pâte à papier telles que les Etats-Unis d'Amérique et le Canada qui assurent à eux seuls 42% des besoins mondiaux, il est en effet difficile de se faire une place au soleil. Un marché florissant qui pèse quelque 400 millions de dollars en Algérie, très convoité, paraît-il, par des investisseurs moyen-orientaux. Un soulagement pour les 4000 salariés de Tonic Emballage.