«L'histoire de l'anthropologie montre que de nombreux auteurs considérés aujourd'hui comme les pères fondateurs de la discipline ont été plutôt des «penseurs de bureau» que des «investigateurs» sur le terrain», a souligné Denis Douyon. Le Colloque international sur l'anthropologie africaine, dédié à quatre anthropologues africains novateurs et précurseurs que furent Chikh Anta Diop, Hampaté Ba, Jomo Kenyatta et Mouloud Mammeri, initié dans le cadre du 2e Festival culturel panafricain qui se déroule à Alger se poursuit, après deux jours de discussions et d'échanges d'idées entre plusieurs chercheurs et écrivains nationaux et étrangers, en attendant les recommandations après la clôture. La problématique de cette troisième et dernière journée de ce colloque s'appuie sur les thèmes suivants: «Retour sur deux dialogues entre P. Bourdieu et M.Mammeri en 1978 et 1985: deux hommes et deux moments de l'anthropologie algérienne», présenté par le chercheur au sein de Mmsh Aix-en-Provence France / et Cnrpah, Algérie, M.Kamel Chachoua. A ce titre, il souligne que «cette communication voudrait revenir sur deux rencontres et/ou deux débats ultimes et peu connus entre P. Bourdieu (1930-2002) et M.Mammeri (1917-1989). Le premier s'est réalisé en février 1978 à l'initiative de P. Bourdieu et le second dialogue est réalisé, sept ans plus tard, en 1985 à l'initiative de M.Mammeri et publié aussitôt dans le premier numéro de la revue "Awal" que M.Mammeri venait juste de fonder à Paris». L'analyse et la compréhension de ces deux dialogues nous livre, en effet, un pan entier des enjeux et des malaises épistémologiques (cognitif) et politique qui traversent, encore aujourd'hui, la discipline anthropologique en Algérie, comme dans chacun des pays d'Afrique et du monde arabe en général, qui sont ou qui furent, tous ou presque, des pays et /ou des terrains «ethnologiques». Pour des considérations et des raisons relatives à l'histoire des sciences humaines dans les sociétés colonisées, l'anthropologie s'est trouvé, en effet, dès les premières décennies de l'Indépendance, au banc et au carrefour, de plusieurs identités, et de plusieurs définitions et controverses thématiques, géographiques et idéologiques. L'apparition et la disparition régulière et alternée de plusieurs anthropologies sous diverses appellations, (anthropologie de la Méditerranée, anthropologie de l'Islam, anthropologie berbère, anthropologie du Maghreb, anthropologie du Sud) ne sont finalement, que des «inventions» pour pallier à l'absence d'anthropologie nationale. «Ces deux débats, pourtant partis et centrés sur deux expériences locale et personnelle en anthropologie (le Béarn pour P. Bourdieu et la Kabylie pour M.Mammeri), nous apprennent, en somme, qu'il ne peut y avoir d'anthropologie nationale, continentale ou même internationale sans une anthropologie proprement locale bien que l'inverse soit aussi vrai», a également affirmé ce chercheur. Pour Denis Douyon de l'université de Bamako, dans son intervention intitulée «Des références bibliographiques dans les études anthropologiques africaines», l'universitaire constate que «l'histoire de l'anthropologie montre que de nombreux auteurs considérés aujourd'hui comme les pères fondateurs de la discipline ont été plutôt des "penseurs de bureau" que des "investigateurs" sur le terrain. Et selon toujours notre interlocuteur les références bibliographiques répondent au souci de la diffusion, non seulement des résultats de la recherche de terrain, mais aussi de l'évolution de la pensée théorique. Si les références bibliographiques font circuler un certain nombre d'informations dans un cercle plus ou moins large, elles permettent d'en exclure d'autres, non pas que ces informations ne sont pas intéressantes, mais parce que l'auteur ne partage pas les mêmes points de vue». De son côté, Nkolo Foé, de l'université de Yaoundé indique dans «Les savoirs autochtones»: un défi méthodologique et philosophique majeur pour l'anthropologie africaine aujourd'hui, que la problématique postcolonialiste a imposé la conversion du regard vis-à-vis des «savoirs locaux», «endogènes», «méconnus», «exclus», «hétérodoxes» de l'Afrique. C'est ainsi que l'anthropologie et la philosophie africaines les plus récentes ont été amenées à opérer un décrochage par rapport à leurs objets d'études habituels: traditions culturelles et historiques, systèmes de croyances, modes de pensée des Africains. Le glissement vers les «savoirs hétérodoxes» constitue, semble-t-il, une réponse au constat d'échec des «savoirs officiels». Les études postcoloniales nous invitent par conséquent à prendre acte de la «pertinence théorique» et de l'«efficacité pratique» des «alter-rationalités» et des «coutumes hétérodoxes». Et la dernière communication de cette matinée intitulée «Les usages de la tribu», est de M.Tozy Mohamed, du Mmsh Aix-en-Provence France, se demandant qu'«après l'Indépen-dance, la présence massive de l'Etat dans les campagnes ne s'est pas traduite partout avec un même niveau d'intervention sur les structures locales: ici l'organisation des collectivités passe par un appareil juridico-politique qui transforme la ´´jma'a´´ (assemblée tribale) en courroie de transmission entre la collectivité et les autorités, là ces cadres ne sont pas investis et gèrent toujours des terres de parcours, l'eau... Cependant, malgré les différences de niveau, des mutations profondes touchent toutes ces collectivités: pression démographique et rareté des ressources, monétarisations et migrations ont provoqué une déstabilisation et des changements irréversibles. Mais est-ce suffisant pour intégrer de nouvelles références et abandonner celles de la société traditionnelle?» Il est à souligner que les travaux du colloque seront clôturés tard dans la soirée où un ensemble de recommandations seront dégagées.