Karzai, vainqueur de la première élection présidentielle en 2004 et favori de la deuxième prévue en août, est le candidat qui a rassemblé le plus de seigneurs de la guerre autour de lui. Les chefs de guerre afghans, dont beaucoup ont été accusés de crimes, reviennent sur le devant de la scène avec les élections provinciales d'août et la présidentielle, dans un rôle de faiseurs de rois qui fait douter de l'avènement de la démocratie, selon les analystes. A son arrivée en Afghanistan à la fin 2001, lorsqu'elle a chassé les taliban du pouvoir, la communauté internationale, emmenée par les Etats-Unis, souhaitait l'avènement d'un Afghanistan démocratique et libéré de ses violents démons tribaux et factionnels du passés, mené par Hamid Karzai. Plus de sept ans plus tard, Karzai, vainqueur de la première élection présidentielle en 2004 et favori de la deuxième prévue en août, est le candidat qui a rassemblé le plus de soutiens chez les seigneurs de la guerre. Riches, puissants et influents, ces commandants de milices nombreux à être accusés d'atteintes aux droits de l'homme, «semblent vouloir détourner le processus électoral pour s'assurer de la préservation de leurs intérêts futurs», a prévenu cette semaine un organisme de défense des droits de l'homme, Afghanistan Rights Monitor (ARM). La réélection d'Hamid Karzai «légitimerait leur emprise sur les institutions politiques et publiques du pays», ajoute-t-il. M.Karzai en a pris deux comme colistiers, Mohammed Qasim Fahim et Karim Khalili, et a reçu le soutien de deux autres, à la réputation épouvantable en matière de droits de l'homme, Abdul Rashid Dostom et Mohammed Mohaqeq. Leur influence sur le pays reste si forte que d'autres candidats tentent de rallier des chefs de guerre importants, selon ARM. D'autres commandants de milice ayant moins de poids travaillent déjà dans des cabinets et au Parlement ou se présenteront aux élections provinciales. Les appels des militants des droits de l'homme à les juger sont restés vains. Héros de la résistance contre les Soviétiques dans les années 1980, les chefs de guerre afghans se sont entretués au début des années 1990. Ce sanglant chaos a jeté les Afghans dans les bras des taliban, qui étaient jugés seuls capables de rétablir l'ordre et ont pris le pouvoir en 1996. A leur chute en 2001, tout était à reconstruire dans le pays. «Pour bâtir des institutions démocratiques, il aurait fallu nettoyer toute l'administration des chefs de guerre, criminels et trafiquants de drogue», souligne le militant afghan des droits de l'homme Nader Nadery. Or, ils reviennent aujourd'hui en force et «cela va avoir de graves conséquences», selon M.Nadery. A l'arrivée de la communauté internationale fin 2001, les Afghans espéraient qu'elle soutiendrait «un gouvernement compétent et à son service», souligne Sarah Chayes, spécialiste de l'Afghanistan et consultante pour l'Otan. Il n'en a rien été, et beaucoup d'Afghans appuient aujourd'hui les taliban uniquement «parce qu'ils sont furieux» contre ce gouvernement qui les ignore, selon Mme Chayes. L'analyste afghan Waheed Mujda souligne de son côté l'absence de partis politiques fondés sur des idéologies. «Ce sont donc les chefs de guerre qui comblent le vide, en perpétuant les divisions ethniques», note-t-il. Pour ARM, l'enregistrement des chefs de guerre comme candidats fait des élections du 20 août une parodie de démocratie qui favorisera l'abstention. Or le désenchantement envers des gouvernements jugés corrompus et composés de nombreux criminels et barons de la drogue présumés pourrait, in fine, pousser la population vers les taliban, comme en 1996, notent plusieurs analystes. Hamid Karzai a récemment rejeté les accusations contre les chefs de guerre, en expliquant à la presse que «l'Afghanistan a ses héros». Ebadullah Ebadi, cadre à Kaboul, résume ainsi la situation: «Les chefs de guerre nous ont blessés, et Karzai verse maintenant du sel sur nos blessures».