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«L'art africain est otage des politiques»
SOTIGUI KOUYATE
Publié dans L'Expression le 20 - 07 - 2009

La vérité ne réside pas dans les objets et les êtres que nous percevons.
Né en 1936 à Bamako, c'est le père du réalisateur Dani Kouyaté et du conteur Hassane Kassi Kouyaté. Il a commencé par être griot dans le pays mandingue avant de devenir joueur international de football jusqu'en 1966 et capitaine de l'équipe du Burkina Faso, enseignant puis acteur. C'est en acceptant de jouer dans une pièce, à la demande de son ami Boubacar Dicko, qu'il a débuté dans le théâtre et connu le succès.
En se frottant aux professionnels de divers horizons, Kouyaté a tissé des affinités avec des stars mondiales, au point de devenir le collaborateur de Peter Brook dans l'adaptation du Mahabharata en 1985. Kouyaté est un des plus grands acteurs africains contemporains. En 1997, il s'associe à Jean-Louis Sagot Duvauroux, Alioune lfra Ndiaye et Habib Dembélé pour fonder une structure de promotion et de création littéraires et artistiques, le Mandeka Théâtre. En 1998, il met en scène avec le Mandeka Théâtre une adaptation d'Antigone. En 2009, il est sacré meilleur acteur pour son rôle dans le film London River, au Festival de Berlin. Cet observateur réaliste, qui nous a accordé cet entretien, projette sa propre aspiration sur ce qu'il regarde, à l'ordre et à la logique, et finit par se retrouver lui-même dans les conceptions qu'il élabore. Il en résulte que la vérité ne réside pas dans les objets et les êtres que nous percevons, mais il faut la chercher.
L'Expression: Quel est le rôle du théâtre dans l'éveil des consciences?
Sotigui Kouyaté: Le théâtre est l'élément essentiel et indispensable pour que l'Afrique puisse surmonter les difficultés qui font obstacle à son développement.
Car le théâtre a pour objectif de créer un univers à part, où se dérangent des personnages «fous», qui n'ont pas à refléter des émotions visibles et partagées par le commun des mortels, mais à mettre en action, ce qui est inaccessible à l'oeil nu...
Quelle lecture faites-vous de l'Afrique d'aujourd'hui?
L'Afrique venait à peine de conquérir son indépendance, mais face aux jeux obscurs, des forces exubérantes provoquent dans nombre de pays africains des antagonismes politiques, des querelles intestines et des luttes tribales. Ainsi, les bouleversements géopolitiques ont naturellement ouvert une nouvelle phase des rapports de force sur le plan international. Pour cela, nous devons mesurer toute la signification de ces bouleversements et tirer tous les enseignements de cet écroulement pour notre propre continent.
Dire qu'il n'y a pas de changement, c'est mentir, mais ça reste toujours insuffisant. Je dirai qu'il y a des changements non annoncés...mais la vie nous propose des fois, souvent en fait, des opportunités auxquelles on doit dire oui!
Peut-on espérer un changement meilleur?
Déjà, l'espoir fait vivre! L'idée, la possibilité même d'un changement véritable fait l'objet d'une vaste bataille d'idées. Les démonstrations idéologiques du «choc des civilisations» témoignent de l'enjeu majeur entre les deux protagonistes (le Nord et le Sud). Et cela n'appelle-t-il pas toutes les forces progressistes à un grand effort de combativité et de créativité culturelles, politiques et stratégiques?
Imposer d'autres décisions, d'autres modes de gestion et de production, d'autres valeurs comme fondement de l'action humaine, mais aussi d'autres pratiques dans l'exercice du politique, n'est-ce pas le sens même de la grande bataille populaire pour la crédibilité politique de l'alternative, afin de rendre crédible une perspective nouvelle, un besoin de plus en plus fort et urgent de penser l'avenir et de construire un avenir tant attendu, une autre Afrique et un autre monde meilleur?
On entend souvent critiquer le fait que la plupart des cinéastes et comédiens africains ne vivent pas en Afrique, près de leur source d'inspiration.
Tous les ingrédients pour le théâtre et le cinéma africains existent, mais la volonté politique de pérenniser et de soutenir les deux arts en Afrique continue de faire défaut.
Cela dénote, aussi, la nécessité d'aller vers une coopération forte et d'échanges entre les pays du continent pour donner un bon souffle à la production africaine.
Car, il faut savoir que si la Grèce est la mère de la culture, l'Afrique en est la grand-mère. Vous traitez de nombreux thèmes, notamment le sous-développement. Et l'une de ses causes est la démission et la corruption des élites africaines, dans la mesure où elles ont renoncé à prendre leurs responsabilités...
Mais ça ne doit pas s'interrompre. Aucune chaîne de vie ne doit l'être. On ne doit pas baisser les bras sous prétexte que ceux qui nous ont précédés ont échoué. Je pense qu'il y a effectivement une démission de beaucoup d'Africains, à tous les niveaux.
Que ce soit au niveau des parents qui laissent les enfants dehors, de la communauté qui ne se sent pas concernée, des intellectuels qui ont du mal à protester par peur, ou qui ont du mal à être force de proposition tout simplement parce qu'ils n'ont plus l'élan et l'engagement nécessaires pour travailler et chercher des solutions. Ailleurs non plus, les gens n'avaient pas les moyens, mais ils se sont battus et continuent de se battre pour convaincre d'autres personnes de s'investir dans leurs projets.
Je pense qu'avant de responsabiliser qui que ce soit d'autre, nous devons d'abord nous responsabiliser. Personne ne viendra développer ce continent à notre place, ça c'est certain!


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