«L'eau ne peut arriver aux lèvres d'un homme qui se contenterait de tendre ses paumes vers elle.» Driss Chraïbi, grand écrivain marocain Après l'échec de Copenhague, la montée en force des «climato-sceptiques» visant à dédouaner l'homme de sa responsabilité dans les changements climatiques du fait d'une consommation débridée en énergies fossiles, après enfin la controverse sur la manipulation des données dont seraient rendus coupables les scientifiques du Giec pour rendre plus crédibles leurs conclusions, on s'aperçoit en définitive, que les grandes nations prennent sérieusement en compte la nécessité d'arriver rapidement aux énergies non carbonées. Ainsi et comme l'écrit Bertrand d'Armagnac, les énergies renouvelables continuent de gagner du terrain dans le monde. La présentation, jeudi 15 juillet, par le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), des «Tendances mondiales d'investissement dans les énergies durables» montre que les investissements s'inscrivent en hausse sur le moyen terme. Le même jour, l'état des lieux dressé par le réseau mondial REN21, qui cherche à promouvoir ces énergies, confirme que «malgré les vents contraires causés par la récession économique, la baisse des prix du pétrole et l'absence d'accord international sur le climat, les renouvelables sont arrivées à tenir bon». Le montant des investissements en faveur des énergies renouvelables dans le monde en 2009 - 162 milliards de dollars est quatre fois plus élevé que celui affiché en 2004. Sur le premier semestre, 65 milliards de dollars ont été dépensés en faveur des énergies vertes, en croissance de 22% sur la même période de 2009. «En 2009, poursuit Bertrand d'Armagnac, pour la seconde année consécutive, les dépenses pour installer de nouvelles capacités de production renouvelables (en incluant l'hydraulique), ont été supérieures à celles dédiées aux énergies fossiles. Près de 50 GW de capacité de génération d'énergie verte ont été créés dans le monde, contre 40 GW en 2008. Par ailleurs, en 2009, les renouvelables ont fourni 18% de l'électricité consommée dans le monde, d'après REN21. L'évolution des dépenses en recherche, varie selon les régions. Sur les 119 milliards dépensés hors budget de R & D, la Chine a pris la tête du classement mondial avec 33,7 milliards de dollars, en augmentation de 53%. Les Etats-Unis (17 milliards), le Royaume-Uni (11,7 milliards) et l'Espagne (10,7 milliards) suivent. L'éolien a attiré la plus grosse part de ces investissements en 2009, représentant en Europe et aux Etats-Unis 39% de la puissance nouvellement installée, tandis que la Chine a doublé sa capacité éolienne avec l'addition de 18,8 GW en 2009. Sur la période 2005-2009, le rapport de REN21 montre que la puissance installée en éolien a progressé en moyenne de 27% par an.»(1) Du côté des pays émergents, la Chine en 2008, a englouti plus de 40% du charbon consommé dans le monde. Loin devant les Etats-Unis (16%) et l'Inde (8%), selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Le charbon assure aujourd'hui près de 65% de la fourniture d'énergie totale de la Chine, et 80% de son électricité. Entre 2007 et 2030, le pays pourrait être à l'origine de près de 65% de la croissance mondiale de la consommation en charbon, selon l'AIE. Des programmes ambitieux d'équipement en énergies renouvelables sont mis sur pied. Ils ont été récemment renforcés par les plans de relance adoptés pour faire face à la crise économique mondiale. Les résultats sont au rendez-vous. En 2009, la Chine s'est emparée, pour la première fois, de la première place mondiale en termes d'investissement dans les énergies renouvelables, devant les Etats-Unis. Le pays a mis en place 37 GW de capacité de production d'énergie renouvelable et augmenté sa puissance éolienne installée de 13,8 GW. Le développement du nucléaire est aussi engagé.(2) Dans le même temps, une dépêche nous apprend que l'Europe envisage de porter de 20 à 30% la part des énergies renouvelables d'ici 2020. Comme argument: la crise économique a fortement réduit le montant de l'ardoise climatique européenne. Depuis 2008, le coût absolu de la réalisation de l'objectif de 20% est ainsi passé de 70 à 48 milliards d'euros (0,32% du PIB) par an d'ici 2020. Le coût de la réalisation de l'objectif de 30% est estimé à 81 milliards d'euros par an d'ici 2020, soit 11 milliards d'euros de plus que le montant estimé pour l'objectif de 20% il y a deux ans. De plus, l'UE compte anticiper son objectif à long terme de baisse de 80 à 95% (!) de ses émissions d'ici 2050, ce qui sous-entend que l'objectif actuel ne permet pas l'atteinte de ce but. Enfin, la superbe prouesse technologique de l'avion solaire Solar impulse est à saluer. Après 26 heures de vol, il s'est posé sur l'aérodrome de Payerne. «Il reste encore 40% d'énergie dans les batteries, expliquait Bertrand Piccard à BFMTV. L'avion pourrait continuer à voler et charger de nouveau ses batteries.» «C'était un moment incroyable et inoubliable!», a commenté Bertrand Piccard, initiateur du projet. L'engin fin et léger pèse 1,1tonne dont 400kg pour les piles à combustible. Il reste un test à effectuer: faire voler l'avion grâce à l'énergie emmagasinée dans les batteries durant un long vol de jour par les 11.628 cellules photovoltaïques, recouvrant 200 mètres carrés sur l'extrados (la partie supérieure) des longues ailes.(3) Le désert à la rescousse Du côté des pays en développement, on apprend l'installation d'une centrale solaire au Maroc de I MW dans le cadre du projet solaire initié par l'Allemagne. Pour rappel, ce projet est un projet éco-énergétique de grande envergure. Il s'agit de créer un réseau interconnecté alimenté par des centrales solaires du Maroc à l'Arabie Saoudite (également relié via Gibraltar) et des câbles sous-marins à l'Europe. Il vise à la fois à répondre en grande partie aux besoins des pays producteurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et à fournir 15% de l'électricité nécessaire à l'Europe. En théorie, chaque km2 de désert reçoit annuellement «une énergie solaire équivalente à 1,5 million de barils de pétrole». La surface totale des déserts sur la planète entière fournirait plusieurs centaines de fois l'énergie utilisée actuellement. Couvrir 0,3% des 40 millions de km2 de déserts de la planète en centrales thermiques permettrait de couvrir les besoins électriques de la planète en 2009 (18.000 TWh/an). (4) Peter Löscher, P-DG de Siemens, dans un entretien exclusif avec Les Afriques, livre ses arguments en faveur de Desertec et, d'une manière générale, des énergies renouvelables en Afrique Certains pays concernés disposent en effet d'énormes réserves fossiles. La mise en place d'un bouquet énergétique, avec un partage significatif des énergies renouvelables, leur permettrait de conserver leur pétrole et gaz plus longtemps pour l'avenir. Des centrales solaires thermiques ont été testées et éprouvées depuis vingt ans, et des autoroutes électriques, pour transmettre de l'énergie sur de longues distances, sont pleinement opérationnelles. La technologie va certainement être améliorée et adaptée au fil des décennies..Au cours des vingt dernières années, les coûts pour un mégaWatt d'énergie éolienne à terre ont chuté de 3 millions d'euros à 1 million d'euros. Et ce n'est certainement pas la fin. (...)Je suis sûr que, globalement, l'Afrique sera l'un des grands gagnants. Le projet va considérablement renforcer l'expertise locale africaine et l'emploi.(..) L'Afrique du Nord est prédestinée pour ce projet en raison de sa position géographique: la région est un emplacement potentiel pour les éoliennes offshore d'électricité ainsi que pour les centrales thermiques solaires, et elle est proche de l'Europe.(5) Dans le même ordre, un parc éolien d'une capacité de 140 MW avec 165 aérogénérateurs a été inauguré à Tanger début juillet, par le roi Mohammed VI. Ce parc éolien est le plus grand en Afrique, avec un investissement estimé à 250 millions d'euros. Différentes institutions financières internationales ont participé à la majorité du financement. L'Office national marocain de l'eau n'a contribué qu'à hauteur de 20 millions d'euros. Ce projet entre dans le cadre de la vision stratégique du Maroc qui entend diversifier son bouquet énergétique, augmentant significativement la part des énergies renouvelables d'ici 2020. Le Maroc a pour ambition d'assurer 42% de sa production énergétique, à raison de 14% par l'éolien, 14% par le solaire et 14% par l'hydraulique.(6) Par ailleurs, et dans le même ordre le Maroc a lancé un programme de 9 milliards de dollars pour une centrale solaire de 2000MW pouvant produire 38% des besoins en électricité de l'énergie solaire en 2020. Le Japon a fait don d'une centrale solaire qu'il va construire pour 7,8 millions de dollars dans le Sud. Enfin, dans le cadre du sommet international du Forum pour le Futur, le Maroc a présenté un projet pour la construction de cinq centrales solaires grâce à un accord stratégique passé avec l'Espagne et l'Allemagne. Le projet sera mis en chantier en novembre 2010 et deux de ces centrales seront construites au Sahara occidental. Les autres pays du Maghreb ne sont pas en reste. En Libye, une autorité nouvellement désignée, en l'occurrence Reaol, a été chargée d'élaborer la stratégie libyenne de l'énergie durable. En Tunisie, des entreprises internationales mènent des études de faisabilité pour les installations à grande échelle «CSP». Le ministère de l'Industrie a fixé un objectif de 500.000 m² de panneaux installés d'ici 2011. La stratégie énergétique repose sur trois piliers: la sécurité énergétique, le développement et la valorisation des énergies renouvelables ainsi que l'ouverture sur le marché européen à travers l'exportation. La Tunisie a, avec le Pnud, qui a contribué pour 300.000 $, élaboré une stratégie nationale et un plan d'action pour le développement de la substitution énergétique dans le cadre du programme 2007-2011. Dans ce contexte, la Tunisie a élaboré un programme quadriennal couvrant la période 2008-2011 dans l'objectif de réaliser une économie de l'énergie primaire de 20% à l'horizon 2011, soit l'équivalent de 2 millions de tep. Rappelons que la Tunisie a bénéficié avec le concours du Pnud d'un plan pour l'installation de plusieurs milliers de chauffe-eau solaires Qu'en est il de l'Algérie où les énergies renouvelables représentent moins de 0,1%? Il est nécessaire que l'Algérie rattrape le train. Imaginons que l'on veuille faire une projection à 2030, la population sera d'environ 45 millions d'habitants en supposant une amélioration du cadre de vie, on peut penser à une consommation de 2500 kWh /hab contre 1000 actuellement (20e sur 23 pays arabes). Il nous faudra alors 120 TWh, soit l'équivalent de 25.000 MW contre 9000 MW actuellement. Avec quoi elles fonctionneront si on sait que les réserves de gaz au rythme du gaspillage effréné actuel seront épuisées dans 20 ans. La consommation actuelle est à flux tendu et contrairement à ce que l'on pense, la consommation d'énergie électrique est plus importante en été qu'en hiver. De plus, les achats débridés d'appareils électriques bas de gamme donc gros consommateurs, ne sont pas contrôlés du fait que le ministère du Commerce n'a aucun instrument juridique ou législatif interdisant d'acheter par exemple des climatiseurs ou des frigidaires gros consommateurs d'énergie. En Europe et même en Tunisie, il existe des limites à ne pas dépasser par appareil, les labels A+, A, B, C, D, sont les indicateurs de performance. Il en est de même dans un autre registre mais toujours dans le cadre des économies d'énergie des voitures importées qui, pour la plupart, ne sont pas acceptées en Europe car dépassant la norme de 130 g de C02 par km. En Algérie, la moyenne des voitures est autour de 150 g de CO2 par km, soit une surconsommation de 15%. Ramené à la consommation de carburant c'est au total près de 1 million de tonnes (1,3 million de m3) de carburant gaspillé inutilement. A seulement 300 dollars le m3. C'est au total 400 millions de dollars de gagné!! De quoi rénover totalement le système éducatif dans son ensemble. La garantie du renouvelable Qu'attendons-nous? D'où la nécessité encore une fois d'avoir un cap, une stratégie énergétique d'économie d'énergie d'utilisation rationnelle et d'investissement à marche forcée dans le renouvelable. Il est vrai que nous sommes encore englués dans les schémas du passé car un pays sans cap ne peut aller loin, il travaille au jugé, sans prise sur le futur. Nos voisins l'ont compris et font feu de tout bois pour être présents partout. Nous allons perdre beaucoup en ne prenant pas le train des nouvelles mutations. La recherche et la formation universitaire doivent être partie prenante et il est hautement souhaitable qu'une vision opérationnelle d'un pan de recherche soit dédiée à l'accompagnement de la stratégie énergétique, la stratégie pour l'eau (c'est aussi de l'énergie). Plus largement, les pays du Maghreb doivent établir des stratégies d'énergies renouvelables et développer des partenariats rentables. Dans ce cadre, l'Union maghrébine pourrait avoir un second souffle car le Maghreb ne perdra pas de temps pour prendre le train du progrès d'autant qu'il existe un Comité de coordination de l'électricité (le Comelec) qui se verrait confier la coordination d'une stratégie d'ensemble. Le Maghreb n'irait plus en ordre dispersé mais pourrait, valablement, avec le poids qu'il représente (plus de 5 millions de km2; 85 millions d'habitants en grande majorité jeunes, de l'énergie), influer d'une façon positive sur son devenir au lieu d'attendre que les autres (Européens, Américains, Chinois) nous organisent. Nous ne devons pas rester spectateurs de notre destin. Il nous faut décliner le concept d'une réelle Unité maghrébine, ethniquement homogène, forgée par l'histoire, la culture et la religion à la réalité du XXIe siècle en commençant enfin, à connaître nos intérêts. Dans ce cadre de l'indépendance énergétique, de l'Union du Maghreb, les décideurs politiques peuvent tirer profit de la valorisation du Sahara dans le cadre du Solaire et de l'éolien. L'objectif est d'obtenir des financements pour préparer l'après-pétrole et gaz, de contribuer non seulement à l'indépendance énergétique mais aussi pouvoir exporter d'une façon pérenne de l'énergie électrique. (*) Ecole nationale polytechnique 1.Bertrand d'Armagnac: Les énergies «vertes», en 2009. Le Monde 15.07.10 2. Bertrand d'Armagnac: La Chine reste dépendante du charbon. Le Monde 15.07.10 3.Jean-Luc Goudet, Solar Impulse a réussi son vol de nuit. Futura-Sciences 8 juillet 2010 4.http://news.fibladi.com/algerie-energie/?ida=35170 5.Peter Löscher: «L'Afrique du Nord est prédestinée pour Desertec». Propos recueillis par Ihsane El Kadi et Saïd Djaafer. Les Afriques21-10-2009 6.Le Maroc inaugure le plus grand parc d'énergie éolienne en Afrique 29-06-2010