Dans cet entretien, Habib Yousfi, président de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), demande au gouvernement de retirer deux dispositions de la loi de finances complémentaire de 2009 concernant la suppression de la procuration pour la domiciliation bancaire et l'obligation du recours au crédit documentaire pour le paiement des importations. L'Expression: Le gouvernement a imposé le crédit documentaire comme unique moyen de paiement des approvisionnements, or ceci ne manquera pas d'avoir des conséquences sur la trésorerie des sociétés. Quelle réaction vous inspire cette décision? Habib Yousfi: La problématique qu'il faut absolument aborder en préambule est celle de connaître l'objectif recherché par l'institution à travers la loi de finances complémentaire de 2009 de l'obligation pour l'opérateur économique de passer par le crédit documentaire. C'est la question primordiale qui préoccupe l'ensemble du patronat. Et c'est une question majeure. Si l'on considère que les pouvoirs publics ont cette volonté de contrôler le mouvement des transactions, nous considérons que cette procédure constitue une entrave au libre exercice de l'économie. En deuxième lieu, si l'on considère que cette disposition entre dans le cadre d'une volonté des pouvoirs publics de limiter la facture des importations, bien au contraire, cette mesure va à l'encontre de l'objectif précité. En fait, le crédit documentaire est une formule pénalisante pour les acteurs économiques algériens. Je dirais même qu'elle est paralysante. En fait cette disposition de la loi de finances complémentaire contraint la petite et moyenne entreprise, créatrice de richesses, à mobiliser des fonds à l'intention de ses fournisseurs pendant une période dépassant souvent trois à quatre mois. La PME ne pourra, en aucune façon, se permettre le luxe d'une telle immobilisation de trésorerie. La PME/PMI a pratiqué le crédit fournisseur moins coûteux et moins contraignant que le crédit documentaire. Ce dernier profite beaucoup plus aux banques nationales et étrangères dans la mesure où les immobilisations financières relatives à ces crédits sont exploitées de part et d'autre à travers des commissions faramineuses qui bénéficient aussi aux fournisseurs étrangers pour la promotion de leur entreprise sachant que leur carnet de commandes est «supergaranti». La disposition de la loi de finances complémentaire met les entreprises créatrices de richesses dans un état d'asphyxie et constitue une solution improductive dont les conséquences majeures sont l'arrêt de la production et la mise au chômage du personnel. Il y a un autre constat, car notre organisation considère que si la volonté des pouvoirs publics était réellement orientée vers une réduction de la facture globale des importations, cette démarche aurait pu obtenir le soutien des organisations patronales, notamment si une concertation préalable avait été réalisée pour aboutir à des dispositions ayant comporté un consensus pour atteindre l'objectif précité. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Il y a aussi la suppression de la procuration, qu'en pensez-vous? Concernant cette deuxième disposition de la loi de finances complémentaire relative à la présence des gestionnaires ou des titulaires de registre du commerce pour toute domiciliation, nous estimons que ce n'est pas dans le cadre d'une loi de finances complémentaire qu'on pourra le faire et encore moins aux banques de procéder à la vérification des titulaires de registre du commerce. Il me semble opportun de signaler que les pouvoirs publics disposent de plusieurs institutions pour pouvoir contrôler et éventuellement arrêter des décisions dans ce cadre à travers l'institution fiscale, la justice et le Centre national de registre du commerce. Il y a un problème important que je veux signaler. Ce n'est pas le rôle des banques de se charger de cette procédure. Le rôle des banques est de participer au financement de l'économie et de gérer les comptes des titulaires de registre du commerce. Ça s'arrête là. Quant aux procédures de domiciliation, nous considérons que les pouvoirs publics viennent d'élargir les prérogatives à un secteur non concerné. Et parlant du rôle des banques... Quant à ces dernières, nous constatons que leur rôle primordial est de soutenir l'économie nationale à travers le crédit d'investissement et les crédits de fonctionnement pour les entreprises disposant de peu de moyens et ayant les garanties nécessaires, or les pouvoirs publics avaient décidé de soutenir le crédit à la consommation de biens importés au détriment des objectifs majeurs découlant du soutien financier pour la promotion d'un secteur économique national productif. Il y a un soutien à l'économie étrangère. Il est important de souligner que les pouvoirs publics devraient, dans la même logique de leur décision de suppression des crédits à la consommation, réorienter les crédits également vers la petite et moyenne entreprise productive. Il semble que ces mesures ne vont pas dans le sens d'un soutien à l'entreprise. Il devient évident que ces mesures vont accentuer la démobilisation du secteur privé productif. Elles déboucheront sur un blocage économique désastreux alors que les pouvoirs publics devraient assainir l'environnement économique des entreprises pour promouvoir un développement qui permettrait au pays de sortir de la dépendance vis-à-vis de la rente. Ces mesures réglementaires contribuent à déstabiliser toute volonté d'investissement car elles accentuent l'opacité de la vision économique. C'est à contre-courant des objectifs des pouvoirs publics qui ont souvent exprimé leur volonté de dynamiser la PME et de créer de nouveaux emplois pour mettre fin, entre autres, à l'exode de notre jeunesse. Pourquoi les mécanismes de dialogue avec le gouvernement n'ont pas fonctionné à cet instant précis? Il n'appartient pas au patronat de gérer les aspects économiques mais il constitue un partenaire incontournable dans la construction d'une économie viable à travers des concertations constantes et permanentes dans l'intérêt supérieur du pays. Nous avons été signataires du Pacte économique et social. Nos obligations et celles des pouvoirs publics ont été définies dans ce cadre. Nous ne croyons pas que les mesures édictées dans la loi de finances complémentaire ont respecté les engagements pris dans cet accord. Il ne s'agit pas, pour le patronat, de remplir exclusivement ses obligations sociales mais il s'agit aussi pour les pouvoirs publics de remplir les leurs vis-à-vis du patronat. Nous souhaitons que les pouvoirs publics comprennent les réactions de l'ensemble du patronat concernant les dispositions de la loi de finances complémentaire et qu'elles puissent les amener, dans le cadre de la loi de finances de 2010, à ajuster ces dispositions. Nous souhaitons également que soient arrêtées, dans les meilleurs délais, des dispositions réglementaires qui permettent aux opérateurs économiques qui ont engagé des contrats avant la parution de la loi de finances complémentaire de procéder aux réajustements nécessaires. Cela permettra de domicilier et de dédouaner leurs marchandises. Donc, vos revendications s'échelonnent sur deux étapes... Nos recommandations consistent à inciter les pouvoirs publics à prendre des dispositions réglementaires pour le dédouanement des opérations engagées puis de procéder à leur suppression. Avant la fin de l'année, il y aura une tripartite entre le gouvernement, le patronat et l'Ugta, comptez-vous poser l'ensemble de ces problèmes à cette occasion? On souhaite que l'ordre du jour soit établi conjointement et qu'il ne concernera pas seulement le relèvement du salaire national minimum garanti.