En l'absence des services du ministère du Commerce en charge du contrôle de la qualité et des prix, le pain continue de se vendre à même le sol. Dans la culture populaire, le pain reste la référence et la raison qui poussent tout être à travailler, à se donner de la peine. II est synonyme de vie. Politiquement aussi, il bénéficie d'une attention particulière. La guerre de la baguette en Tunisie est toujours en mémoire. Le citoyen peut admettre toute augmentation sauf celle du pain. Qu'il soit dénommé «el kasra», «aghroum», «el khoubz», il n'en demeure pas moins que le pain a un statut particulier dans nos traditions et notre gastronomie. Pour un sexagénaire, le pain est victime d'une déperdition globale des valeurs. «Du temps de notre jeunesse, le pain était confectionné par des femmes au foyer, il avait un goût particulier. Il était synonyme d'hospitalité, de bonté...Aujourd'hui, le produit est jeté dans des poubelles. Comment voulez vous que Dieu nous préserve?» Avec l'avènement de l'économie de marché, la primauté du gain et l'esprit individuel, le pain n'est pas resté en marge des mutations. Seul le profit prédomine. Des fruits et légumes vendus à même la chaussée, du pain dans des caisses métalliques crasseuses, et surtout exposées à proximité d'eaux usées stagnantes, du beurre en vrac vendu sous un soleil de plomb, de la viande, du fromage, des oeufs, des yaourts, des jus, des boissons gazeuses et autres mets qui demandent un conditionnement particulier... Grâce aux politiques d'aide et d'assistance aux jeunes, les boulangeries se sont multipliées. Avec la prolifération des établissements et leur proximité, le pain a perdu de son respect ancestral. Il est aujourd'hui vendu à même le sol, exposé au soleil et aux poussières. Certains clients se permettent même de tâter toute la caisse à la recherche d'«un bien cuit» sans se soucier de l'hygiène sous le regard passif du commerçant soucieux de liquider sa marchandise. Ce phénomène prend des proportions alarmantes pendant le mois sacré du Ramadhan où des rues et des quartiers deviennent l'espace d'un mois une foire au pain sous diverses formes, du rond, à la ficelle, au pain de blé, d'orge...A qui incombe la faute? En premier, le client sans qui le vendeur ne pourra jamais écouler sa marchandise. En effet, certains n'hésitent pas à débourser 5 DA de plus pour une baguette achetée chez l'épicier alors que le boulanger d'à côté est censé la vendre à 8,50 DA. Mais si la responsabilité du client est avérée, celle de certains membres de la corporation est aussi engagée. Nombreux sont les boulangers qui préfèrent alimenter les épiceries au lieu de vendre leur produit directement au consommateur. Le gain est multiple puisque en plus du temps économisé, il produit plus. Et qu'on ne vienne pas nous dire que les boulangers sont à la merci des fournisseurs de farine et autres intrants. Evitant de revendiquer une augmentation du prix, en parallèle à celle de la matière première, la Fédération des boulangers mise sur la réduction des charges imposées, comme, à titre indicatif, la taxe sur l'environnement qui avoisine les 9000 DA par an. Mais en attendant un réveil des consciences, et des jours meilleurs, le pain continuera à se vendre dans des conditions d'hygiène lamentables sous le regard complice de certains responsables concernés et le laxisme du consommateur qui accepte d'acheter n'importe quoi et n'importe où, s'expose à tous les risques et les dangers au péril de sa santé. Vivement la grève du couffin.