En décidant d'occuper l'îlot contesté, Rabat s'est pris au piège de ses propres oukases. Le Maroc vient d'essuyer une véritable humiliation par la manière avec laquelle les forces spéciales espagnoles ont «débarqué» la dizaine de soldats marocains qui occupaient depuis le 11 juillet l'îlot contesté de Leïla-Perejil. Les forces d'intervention espagnoles ont ainsi réoccupé sans coup férir l'îlot, remettant, après coup, les militaires marocains aux autorités de Rabat aux frontières de l'enclave de Ceuta (nord du Maroc). Alors que mardi la situation semblait s'acheminer vers un dénouement pacifique et diplomatique, les choses ont subitement évolué en sens inverse, par le rappel d'abord de l'ambassadeur espagnol à Rabat, Fernando Arias Salgado, l'opération réoccupation, hier matin, ensuite. Tout cela indiquait donc que Madrid avait décidé de donner au conflit une réponse de nature différente. De fait, le ministre espagnol de la Défense, Federico Trillo, fort du soutien inconditionnel apporté par l'Union européenne et l'OTAN, estime que l'Espagne avait acquis «l'aval de la communauté internationale» quant au bien-fondé des droits de l'Espagne. M.Trillo se montre, par ailleurs, magnanime en déclarant que «l'Exécutif ne souhaite pas maintenir une présence militaire permanente» sur l'îlot. La chef de la diplomatie espagnole, Mme Ana Palacio, fait chorus avec son collègue en affirmant que «l'objectif de l'Espagne était de rétablir le règne de la loi et le statu quo» et le retour à la situation d'avant le 11 juillet de même que «l'accès en toute liberté» à l îlot «comme c'est le cas depuis quarante ans», souligne Mme Palacio. A Rabat, c'est un tout autre son de cloche. Ainsi, le Maroc qui «exige le retrait immédiat et sans condition des forces espagnoles de l'îlot de Leïla» a simultanément porté l'affaire devant le Conseil de sécurité, afin de mettre fin à «l'agression» espagnole sur l'îlot contesté. Dans un communiqué. le ministère marocain des Affaires étrangères déclare que «le royaume du Maroc s'élève avec force contre cette agression que rien ne justifiait au moment où des discussions étaient engagées, et que le Maroc et l'Espagne s'étaient entendus pour résoudre la crise par la voie diplomatique» A l'évidence, fort du soutien sans faille de l'Europe et de l'OTAN, Madrid s'est vu ainsi conforté estimant qu'il était de son droit de remettre les choses en l'état où elles étaient avant l'occupation de l'îlot par une force symbolique (douze soldats) de l'armée marocaine. En vérité, la question qui se pose est le pourquoi du soudain intérêt du Maroc pour ce petit rocher au large des côtes marocaines et pourquoi maintenant? L'ambassadeur espagnol à Rabat, rappelé mardi par son pays, croit avoir une réponse à cette situation conflictuelle en estimant que «le Maroc» par une série d'analogies, avec d'autres contentieux en voie de règlement, pense que le moment est venu de (remettre en question) une situation dont il pense historiquement qu'elle ne doit pas perdurer (la présence espagnole dans le Nord de l'Afrique)». A défaut d'autres indications c'est une explication parmi d'autres, mais qui, en fait, n'explique rien du tout. Car pourquoi engager une épreuve de force pour un îlot désertique et inhabité quand il était loisible à Rabat, par le biais d'un recours à la Cour internationale de justice (CIJ), de remettre sur le tapis les questions réelles afférentes aux présides de Ceuta et Melilla. Mais M.Benaïssa, ministre marocain des Affaires étrangères, dément une telle appréciation estimant, dans une déclaration à Radio BBC, que l'affaire de l'îlot contesté n'avait rien à voir avec les présides de Ceuta et de Melilla. Rabat ne remet donc pas en cause le statut actuel des deux villes administrées par l'Espagne depuis plus de deux siècles. Quelle stratégie le Maroc a-t-il donc mis en jeu dans une affaire qui confine à l'absurde et qui fait douter du bon sens de ceux qui en ont élaborée la mise en scène? Rabat avait-il réellement besoin de cette opération qui n'ajoute ni à son prestige ni ne contribue à trouver des solutions à des problèmes sans doute fondés. A contrario, c'est toute la communauté internationale que le Maroc s'est mise à dos par une action à tout le moins grossière. Le soutien, du bout des lèvres, des pays arabes et musulmans, ne change rien à la donne ainsi mise en branle, avec au bout du compte une cuisante humiliation pour l'armée marocaine délogée manu-militari de l'îlot de Leïla-Perejil.