Rabat et Madrid campent sur leurs positions, mais le ton a baissé. En fait, c'est surtout Rabat qui tente maintenant une marche arrière après avoir constaté les dégâts occasionnés par une décision à tout le moins irréfléchie. Les dirigeants marocains prennent ainsi, un peu tard, la pleine mesure de la maladresse diplomatique commise dans l'affaire de l'îlot Persil (ou Leïla selon les Marocains) et les retombées qu'elle a induites au plan international. Rabat, en occupant l'îlot inhabité, comptait-il sur la neutralité internationale, comme cela avait été plus ou moins le cas, dans l'affaire du Sahara occidental? Il faut le croire. Mais la réaction ferme et rapide de l'Union européenne indique bien le tort que Rabat a fait à sa cause. En effet, allant plus loin que Madrid dans cette affaire de l'envoi de soldats marocains sur l'îlot contesté, l'UE condamne la «violation» par le Maroc de «l'intégrité territoriale» espagnole. Même Madrid n'a pas osé aller aussi loin s'indignant seulement de «la rupture du statu quo» sur l'îlot par Rabat. De fait, ce morceau de terre, pas plus grand qu'un stade de football, à quelque 200 mètres des côtes marocaines au large de Ceuta (Sebta pour les Marocains) est un îlot inhabité dont l'intérêt stratégique est nul. Aussi, peu d'observateurs et analystes admettent les explications fournies par Rabat et ne comprennent pas la sortie intempestive du Maroc dans une affaire qui a pris des proportions en passe de ruiner toutes les sympathies dont le Maroc a pu bénéficier ces dernières années. Faut-il le souligner, ce sont ces mêmes sympathies, acquises par le Maroc, qui ont permis à Rabat, tout au long de ces années, de contrarier le processus référendaire au Sahara occidental et de se jouer de la communauté internationale qui demande l'application des résolutions de l'ONU dans cette affaire de décolonisation. Quelle folie a fait que subitement le Maroc remette en question tous ses acquis de ces années pour un îlot qui n'est d'aucun secours dans la lutte antiterroriste et contre la drogue comme l'expliquaient les autorités marocaines? Celles-ci commencent d'ailleurs à faire marche arrière, comme le laissaient percevoir les déclarations du chef de la diplomatie marocaine, Mohamed Benaïssa, qui affirme à radio BBC, qu'il «allait dès mardi (hier) contacter son homologue espagnole (Ana de Palacio) pour tenter de résoudre par le dialogue» leur différend. Ne fallait-il pas commencer par là, avant d'ouvrir une grave crise diplomatique avec l'Espagne? Mais, habitué aux oukases, (cf : l'affaire du Sahara occidental et les retombées de la «Marche verte») Rabat s'est attaqué de la plus mauvaise manière à un problème dont le Maroc avait sans doute les arguments juridiques, historiques autant que géographiques pour le plaider autrement. Rabat peut ainsi constater que la loi de la force et du fait accompli ne marche pas à tous les coups. A contrario cela constitue un bon point pour la position défendue par le Front Polisario qui réclame, depuis 25 ans, la mise en oeuvre du référendum d'autodétermination de la population sahraouie conformément au plan de paix de l'ONU. L'occupation par le Maroc de l'îlot contesté aura surtout desservi et fragilisé Rabat. C'est sans doute ayant à l'esprit la vague de protestations soulevée en Europe que le ministre marocain des Affaires étrangères explique sur BBC-Radio «Jusqu'où allons-nous aller? Pas trop loin.» Le Maroc cherche ainsi à se sortir de ce mauvais pas sans faire d'autres dégâts. Pourquoi avoir alors déclenché cette tempête occasionnant la crise diplomatique la plus grave avec l'Espagne? Pourtant Rabat avait la possibilité de déposer un recours auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) à propos de cet îlot, des îles Chaffarines et de même des enclaves de Ceuta et Melilla sous administration espagnole. Mais, M.Benaïssa dans ses déclarations à Radio BBC précise: «Nous avons établi une distinction très claire entre la question de Ceuta et Melilla et ce petit rocher.» Un petit rocher dont l'occupation grossière pose maints questionnements.