Censé être le procès d'un homme politique, Clearstream risque d'être celui de tout un système. Bien que rompues aux arcanes de la justice, la liberté et l'indépendance, dont se targue la justice française, vont être mises à rude épreuve par l'affaire Clearstream. Dans ce procès qui met à nu le sérail, c'est en fait celui de la justice qui se tiendra. D'ailleurs, certains médias n'ont pas lésinés, sur les mots. «L'affaire Clearstream, ce n'est pas du cinéma», conclut l'éditorialiste de l'hebdomadaire L'Express. Pour lui c'est «la réalité putride et pitoyable d'une classe politique française adepte des coups bas et des coups tordus». Le même enseignement est tiré par l'agence France Presse pour laquelle «ce procès, c'est le procès d'une époque. C'est le procès de moeurs politiques françaises, quand l'appareil judiciaire français est instrumentalisé par les pouvoirs politiques», pour résumer l'affaire Clearstream. Mais, en particulier, il s'agit du procès de l'ancien Premier ministre français, Dominique de Villepin, accusé d'avoir fomenté l'affaire en étant impliqué dans le «complot» des listings de pots-de-vin de la société financière luxembourgeoise Clearstream. Cette machiavélique manipulation visait semble-t-il, à discréditer de faux détenteurs de comptes, en les faisant passer pour les bénéficiaires de pots-de-vin lors d'une vente d'armements à Taiwan en 1991. Sur ces listes figuraient, outre les noms de hautes personnalités, d'industriels, d'hommes politiques, celui de Nicolas Sarkozy, à l'époque, ministre de l'Intérieur et prétendant à la succession de Jacques Chirac à la présidence de la République. Cette tentative de «salir» l'actuel locataire de l'Elysée, qu'on a tenté de discréditer, selon ses proches, n'a pas été du goût de Sarkozy qui s'est constitué partie civile, en se jurant de «pendre à un croc de boucher» l'auteur d'une telle machination, pointant du doigt l'ex-Premier ministre considéré comme étant le principal instigateur. La haine entre l'ex-Premier ministre, Dominique de Villepin et l'actuel président français, Nicolas Sarkozy, est viscérale. L'ex-Premier ministre du président Chirac risque jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende, s'il vient à être reconnu coupable de complicité de dénonciation calomnieuse. Ce qui représentera une victoire à la Pyrrhus pour Nicolas Sarkozy. L'affaire, c'est celle de deux «dauphins» du même port mais pas du même bord. L'affaire Clearstream raconte l'histoire, à partir de 2003, de deux héritiers en politique, deux hommes de la droite gaulliste, que tout sépare sauf l'appartenance à un même gouvernement et l'ambition de succéder à Jacques Chirac à l'Elysée en mai 2007. La machine judiciaire française est mise en branle à la suite de la réception sous forme anonyme des fameux listings par un juge, qui enquête sur ces faits de corruption. Une enquête pour dénonciation calomnieuse est ouverte donnant à cette affaire un cachet juridico-politique. L'enquête mène jusqu'à un ancien agent des services de renseignements, le général Philippe Rondot. Ses carnets de notes dans lesquels étaient soigneusement relatées des réunions secrètes avec Dominique de Villepin et consacrées aux listings. Dominique de Villepin qui crie au «déséquilibre créé par le poids de la fonction présidentielle dans ce procès», nie toute implication dans la falsification. «Nicolas Sarkozy devra s'expliquer le moment venu, quand la lumière sera faite sur l'acharnement qui a été le sien, qui, à mon sens, n'est pas sans conséquence pour sa fonction», déclare-t-il. Un journaliste d'investigation, Denis Robert, et un ancien auditeur chez Arthur Andersen, Florian Bourges, soupçonnés d'avoir détenu les listings, joueront les seconds rôles dans ce procès, qui durera jusqu'au 23 octobre et comptera au total 40 parties civiles et 18 témoins. Le président Sarkozy est représenté par un avocat qui sera présent et siègera au banc des victimes, puisque Nicolas Sarkozy s'est porté partie civile. Il aura en face de lui Dominique de Villepin et quatre autres accusés, dont le Franco-Libanais, Imad Lahoud, un mathématicien génial auteur présumé des faux listings informatiques et Jean-Louis Gergorin, ex-dirigeant du groupe aéronautique européen Eads, homme d'influence et de réseaux. Défileront entre autres à la barre des témoins, un maître-espion à la retraite, un ex-chef des services secrets, et peut-être un policier du service des «Renseignements généraux», détenteur des grands et petits secrets de la classe politique.