«Les bonnes institutions sont celles qui permettent la confiance.» Nicolas Meisel Les effets de la mondialisation ne cessent de générer, à travers le monde, d'énormes convulsions économiques, sociales, culturelles et politiques. L'ordre international se caractérise, ces dernières décennies, par un changement sociétal global et des mutations sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. L'un des faits marquants est sans conteste, l'unilatéralisme américain qui a imposé, particulièrement depuis la présidence de George W.Bush, de nouvelles règles dans les relations internationales et amoindri sensiblement le rôle des Nations unies. Que sera le XXIe siècle? Qui arbitrera désormais les conflits de la planète? Quel sera l'impact de la mondialisation sur la souveraineté des pays? Faut-il craindre la montée des nationalismes, des fanatismes religieux et la prolifération nucléaire? Comment évoluera l'Europe dans le nouveau paysage international? Quelle place pour les pays en développement? Le Mouvement des non-alignés, dont le seul acquis marquant est la décolonisation, s'est transformé peu à peu en un simple forum où les discours grandiloquents restent généralement sans suite. Certains de ses membres qui ont des intérêts «de pays riches» vont-ils chercher à être les «représentants» des Non-alignés ou simplement à renforcer une place plus gratifiante au sein des institutions en gestation tel que le G20? Après s'être déclaré favorable à un G20 permanent et que les pays émergents «devaient prendre une part plus importante aux délibérations», le président Lula s'est, ensuite, prononcé à L'Aquila le 9 juillet 2009, pour un G14: «Déjà plus repr.» Un G14 qui serait le résultat de la fusion du G8 (Etats-Unis, Canada, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Japon et Russie) avec le G5+1 à savoir les 5 plus grandes économies émergentes, soit: la Chine, l'Inde, le Brésil, le Mexique, l'Afrique du Sud et l'Egypte. Pour le président Sarkozy: «C'est simple, on se réunirait à 14 ou à 20 et on prévoirait dans les deux jours et demi de réunion des sessions à huit, des sessions à six et des sessions à 14.» Quid de l'efficacité de chaque groupe? Son active plaidoirie pour un G14 laisse penser à une déception dans ses relations avec la Chine, et à son souhait de les combler par des relations privilégiées avec le Brésil, l'Inde et l'Egypte. Le problème est que cette addition de forums, ne semble pas avoir l'adhésion du président Barack Obama. Le président américain privilégie, semble-t-il, la rénovation des institutions internationales, à commencer par les Nations unies. Il soulignera à cet effet: «Je suis un grand partisan des Nations unies, mais elles doivent être réformées et revitalisées et je l'ai dit au secrétaire général. Penser que ces institutions peuvent appréhender correctement les énormes changements intervenus au cours des dernières décennies n'a pas de sens.» A travers ces multiples approches et déclarations, il faut retenir que rien n'est désintéressé; comme le rappelait le général De Gaulle: «Dans les relations internationales, il n'y a pas d'amis, il n'y a que des intérêts.» Pré carré des grandes puissances, le G8 semble avoir fait son temps. Confrontées à la crise mondiale dont elles sont principalement responsables et face à l'immensité des défis, les principales puissances mondiales ont accepté d'élargir leur cercle en s'ouvrant à «quelques invités» pour se donner une légitimité économique et politique. Pour M.Hubert Védrine, ancien et brillant ministre français des Affaires étrangères, la dernière réunion du G8 à L'Aquila «raconte la fin du monopole occidental, le plus grand phénomène géopolitique actuel. Une fin d'autant plus rapide qu'il y a peu, les démocraties du Nord se rêvaient maîtres du monde. Si l'idée de l'élargissement n'est pas nouvelle, la crise a accéléré l'implosion du G8». A L'Aquila, les résultats n'ont pas été à la hauteur des défis. Néanmoins, une conclusion satisfaisante et pas des moindres s'est imposée, à savoir le retour des Etats dans l'économie. C'est grâce à leur intervention que le désastre a pu être évité pour l'instant. Faut-il pour autant, s'attendre, logiquement, à une régulation de la globalisation? Cela me semble peu probable. C'est ce qui explique les raisons de l'addition des forums proposés(G8, G14, G20) susceptibles, chacun, d'aborder des thématiques différentes: (les mesures appropriées pour atténuer l'impact de la crise sur le développement, le commerce, les investissements et le développement, le marché du travail, le rôle de l'ONU dans les discussions internationales sur la réforme et le renforcement de l'architecture économique et financière internationale et les contributions du système des Nations unies dans la réponse à la crise, problèmes climatiques, matières premières) etc. Les graves déséquilibres entre l'immense majorité de la planète et une minorité s'amplifient dangereusement et ne peuvent trouver une juste et durable solution à travers des formules qui ne font guère illusion. Derrière la multiplication des propositions et de sigles se cache une bataille politique pour déterminer quelle est l'instance internationale qui aura la légitimité de formuler des réponses à la crise globale que subit notre planète. Quels choix? Pour quelles perspectives? Face à ce nouvel ordre mondial en gestation et aux nouvelles perspectives, quel sera notre avenir? Quelle place pour l'Algérie et de façon générale pour l'Afrique et les Non-alignés? Comment assurer les meilleures chances à l'Algérie et à l'Afrique dans ce contexte économique récessionniste et de crise mondiale multiforme? Comment s'adapter dans le cadre de l'interdépendance qui résulte de la mondialisation? Quelles corrections apporter au déficit de gouvernance mondiale? Avec quelle stratégie et quels moyens? Le terme «non aligné» est-il approprié au contexte international actuel? Quelles relations entre le non-alignement et l'altermondialisme? Par-delà ces questions, il est urgent de penser le monde de demain avec ses défis considérables qui constituent autant de ruptures historiques. Plus que jamais, des réformes courageuses tant économiques que politiques sont nécessaires dans l'ensemble de nos pays pour éviter que le fossé actuel ne devienne un écueil infranchissable. Ces questions, et certainement tant d'autres, méritent une sérieuse réflexion, des réponses cohérentes et solidaires si l'on veut que notre continent mérite respect et crédibilité. Selon M.Védrine, le G20 ne peut laisser indifférent du fait qu'il représente plus de 80% du PNB mondial mais sera difficilement un succès «parce que 172 pays, sur les 192 membres de l'ONU, restent encore exclus de ce club fermé. On s'achemine vers un système baroque fait de multiplication de "G" dans tous les sens. Mais pour autant, pas de gouvernance ni de communauté internationales. Pas de solutions ni de préconisations globales. Parce qu'il n'y a pas d'autorité mondiale, pas de vainqueur, comme après la guerre. Pas d'harmonisation d'un monde fondé sur des valeurs communes». Doit-on accepter que vingt pays s'arrogent, implicitement, le droit de parler au nom des 172 autres même s'ils représentent plus de 80% de la richesse mondiale? Face à cette situation et pour mettre les 172 pays dans le circuit de la décision, le président de l'Assemblée générale de l'ONU, jusqu'en septembre 2009, le Père Miguel d'Escoto (Nicaragua), a désigné une commission présidée par l'Américain Joseph Stieglitz, prix Nobel d'économie 2001, pour élaborer un rapport sur la réforme du système monétaire et financier international. Analysant les causes de la crise, une semaine avant la réunion du G20 à Londres en avril 2009, la commission Stieglitz incrimine «la disparité croissante des revenus dans la plupart des pays» et dénonce les «postulats erronés» que sont «des marchés efficients et autocorrecteurs». Cette commission propose également «de ne pas confier les solutions de la crise aux organismes qui ont été une partie de la cause de la crise» et de mener les nécessaires réformes, non pas dans le cadre du G8 ou G20 mais d'un G192 qui regrouperait tous les pays membres des Nations unies. La consultation mondiale organisée auprès d'une centaine d'ONG des Nations unies par la commission Stieglitz a mis également en évidence que si «l'impact de la crise est mondial, sa responsabilité première incombe aux pays développés, qui doivent entreprendre les changements les plus importants». Les ONG ont insisté sur la nécessité de démocratiser la gouvernance économique mondiale, sous l'égide des Nations unies et non d'un groupe restreint de pays, comme le G20 s'apprête à le faire. Le système de régulation financière doit être universel, les paradis fiscaux et le mécanisme bancaire offshore doivent être éradiqués. Elles demandent un code de conduite onusien pour combattre l'évasion fiscale et la création d'une organisation internationale de la taxation sous l'égide de l'ONU. Elles souhaitent que l'évasion fiscale soit considérée comme un crime dans tous les pays et que les multinationales soient taxées efficacement. Elles demandent également la création de nouveaux droits de tirage spéciaux et d'un système de réserves basé sur une monnaie multilatérale. Enfin, ces ONG jugent nécessaire de conserver intacts les systèmes de protection sociale existants, malgré la crise. La conférence des Nations unies, convoquée à New York du 1er au 3 juin 2009, pour débattre de l'ensemble de ces points n'a pas été vraiment un succès. Seuls quelque 120 pays, principalement en voie de développement, ont participé aux travaux. De nombreux pays occidentaux ont dépêché des délégations de niveau modeste à l'image du secrétaire général des Nations unies qui ne semble pas accorder une évidente attention aux travaux de la commission Stieglitz. Démocratiser la gouvernance mondiale Du XVIIIe au XIXe siècle, les relations internationales eurent pour caractéristiques principales de la puissance et de l'équilibre. Du XIXe siècle au XXe siècle, c'est le nationalisme, fortement marqué par une volonté de liberté, d'égalité et de démocratie, qui émerge comme le moteur des relations internationales. La fin de l'Union soviétique en 1991 et le terrible attentat du 11 septembre 2001, ont marqué la fin d'une période de l'histoire internationale dite de coexistence pacifique. L'on peut considérer, si l'on ajoute la récente crise économique mondiale, que la planète est en phase de rupture géostratégique. Les pays en développement, soit la majorité des 192 Etats membres de l'ONU, paient le prix fort des conséquences d'une crise créée par le monde développé. Leur déficit financier pourrait aller jusqu'à 700 milliards de dollars, ce qui pousserait plus de 100 millions de personnes dans l'extrême pauvreté pendant toute la durée de la crise. Ils ne sont pourtant en rien à l'origine de la crise. Les pays développés, à l'origine de la crise, les «sanctionnent «en réduisant leur aide publique au développement: avec un retard de paiement de 20 Md$. Le FMI rappelle que les pays africains sont particulièrement frappés par la crise. Selon l'Unesco, 390 millions d'habitants de l'Afrique subsaharienne devraient voir leur niveau de vie chuter de 20%. Que deviennent les promesses des principaux pays développés d'atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, d'éviter les mesures protectionnistes supplémentaires et d'augmenter les ressources de prêt du FMI et de la Banque mondiale? Autre exemple: selon une étude de la Ligue arabe, les pays arabes dépensent 1,5 milliard de dollars pour la formation. Sur les 100.000 étudiants, entre Libanais, Syriens, Algériens, Irakiens, Jordaniens, Egyptiens, Tunisiens et Marocains, 70% des scientifiques préfèrent, à la fin de leur formation, l'exil vers l'Europe, les Etats-Unis et le Canada. Après la fuite des capitaux, la fuite des cerveaux. Joseph Stieglitz, prix Nobel d'économie et président de la commission, estime que «la crise actuelle offre l'opportunité de mener des réformes qui n'étaient pas concevables il y a quelques mois encore». Insistant sur l'urgence de ces réformes, il pense que «quelle que soit la forme retenue, le nouveau mécanisme doit avoir une gouvernance plus démocratique et mieux représenter les pays en développement... Le système actuel est inéquitable et il contribue à l'instabilité financière. Pour se protéger de celle-ci, les pays en développement prêtent des milliards de dollars aux Etats-Unis, à un taux d'intérêt proche de zéro. Il ne peut y avoir de système de réserves stable avec un dollar volatil», relève le professeur Stieglitz qui propose de créer un conseil de coordination économique globale dans le cadre de l'ONU. Une sorte de «Conseil de sécurité pour l'économie», qui se réunirait chaque année et offrirait une alternative démocratique au G20. Ce conseil superviserait une instance de régulation financière et une autorité pour empêcher les multinationales de devenir trop grandes et de mettre en péril la compétition. Pour Kofi Annan, l'ancien secrétaire général de l'ONU: «...En parlant comme quelqu'un qui a tenté désespérément de réformer le Conseil de sécurité des Nations unies, je peux vous dire que cette réforme est difficile, mais essentielle.» World Economic Forum on Africa, 2009. Par-delà les clivages Nord-Sud et les déséquilibres qui en résultent, il convient de rappeler également que les chances de développement d'un grand nombre de pays du Sud sont grevées par l'absence d'une bonne gouvernance: cause principale d'importantes pertes économiques. Aucune solution durable et sérieuse ne peut être envisagée sans des changements profonds tant au niveau international que national pour parvenir de façon effective à l'instauration et au respect des règles qui conditionnent une bonne gouvernance. Lors du 15e sommet des pays non-alignés de Charm El Cheikh (Egypte), le Président Bouteflika a rappelé que «dans un contexte mondial marqué par la globalisation, la participation de nos pays au processus de réflexion et de reconfiguration des relations économiques internationales est non seulement un droit mais aussi une exigence de bon sens» et assuré que «le nouvel ordre international que nous revendiquons est celui qui sera basé sur le respect scrupuleux des obligations qui incombent à tout un chacun en vertu de la Charte des Nations unies, en particulier notre engagement à vivre en paix et en sécurité les uns avec les autres dans un esprit de tolérance et de bon voisinage». L'élaboration d'une nouvelle gouvernance mondiale apparaît comme un devoir moral et une nécessité absolue dans un monde où tout est possible: le meilleur comme le pire. Il appartient aux principaux leaders du monde de définir un nouveau pacte social à travers une éthique universelle fondée sur les principes de la Déclaration des droits de l'homme et la Charte des Nations unies: cela est loin d'être une utopie. A quelques jours du prochain sommet du G20 à Pittsburgh, il est à souhaiter que tous les efforts seront tendus pour que les grands principes, maintes fois réaffirmés par les uns et les autres, soient traduits en mesures concrètes tant attendues. (*) Ancien fonctionnaire de l'Unesco