Large vainqueur de la consultation législative, l'AKP est confirmé au pouvoir. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, en organisant des législatives anticipées -alors qu'elles étaient initialement prévues pour novembre prochain- a réussi un coup de maître, améliorant au passage le score réalisé par son parti lors du scrutin de 2002. Avec 46,6% des voix, selon des résultats non encore définitifs, le parti pour la Justice et le développement (AKP, islamiste modéré) a obtenu ce qu'il voulait: gouverner seul. C'était même l'une des conditions posées par M.Erdogan pour demeurer au pouvoir, menaçant de se retirer au cas où son parti aurait été amené à partager le pouvoir. Les élections législatives anticipées ont été convoquées par le gouvernement Erdogan pour dépasser la crise politique surgie après l'échec de son candidat, le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, à se faire élire à la présidence de la République pour succéder au président sortant, Ahmet Necdet Sezer, dont le mandat est venu à terme en mai dernier. L'AKP gagne ainsi largement son pari de gouverner seul, mais la configuration du Parlement a aussi changé avec l'arrivée d'un troisième parti, le MHP (nationaliste) et l'entrée à l'Assemblée nationale de 20 députés Kurdes. Selon le nouveau schéma du Parlement, l'AKP qui a eu plus de voix qu'en 2002 (46,6% contre 34%), aura cependant moins de députés (340 députés contre 351 sur 550 dans l'Assemblée sortante). Ce tassement du nombre des représentants s'expliquerait par le retour du Parti de l'action nationaliste (MHP) à l'Assemblée nationale, lequel a été crédité de14,2% des voix (71 députés). Le principal parti de l'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) recueille 20,8% des suffrages (112 députés). Il faut noter également l'entrée au Parlement de 20 députés «indépendants» d'obédience kurde. Ces chiffres, qui ne sont pas officiels, (les résultats officiels ne seront pas disponibles avant plusieurs jours), ont été donnés hier par l'agence de presse Anatolie. Tout en permettant à l'AKP de confirmer sa position de premier parti de Turquie, les législatives de dimanche ont néanmoins donné lieu à l'établissement d'une Assemblée nationale plus équilibrée qui était dominée par la dualité AKP-CHP. Toutefois, à moins d'un compromis entre toutes les parties présentes à l'Assemblée nationale, la question de l'élection du président de la République, à l'origine de la crise et des élections anticipées, risque de demeurer entière, si l'AKP persiste à vouloir faire élire l'un de ses membres à la présidence. Or, les militaires, notamment, autoproclamés «gardiens» de la laïcité de la République, soupçonnent le parti de la Justice et du développement d'avoir le projet «d'islamiser» le pays en catimini. Ce dont se défend Recep Rayyip Erdogan qui, réagissant à la victoire de son parti, s'est engagé à respecter «les principes fondateurs» de la République dont le premier reste la laïcité. «Nous n'allons faire aucune concession sur les principes fondateurs de la République», a affirmé M.Erdogan dans une première intervention au siège de son parti AKP. «Notre peuple a choisi de continuer avec notre parti. Il est clair que le soutien pour notre parti a augmenté», a noté le Premier ministre qui était acclamé par ses partisans. M.Erdogan a également promis «d'aller en avant» dans les réformes devant rapprocher la Turquie des critères de l'Union européenne, avec laquelle Ankara a engagé des négociations depuis 2005, négociations prévues pour une durée de dix ans au moins. M.Erdogan n'a pas manqué aussi de «rassurer» ceux qui ont voté contre son parti affirmant: «Soyez rassurés (...) Nous sommes respectueux des différences de notre société et que nous considérons comme nos richesses.» Cette victoire, lors de la consultation électorale de dimanche, reste, en fait, une victoire personnelle de Recep Tayyip Erdogan, qui a fait de l'AKP un classique parti du centre-droit revenu de son islamisme militant. Le temps de Necmettin Erbakan, premier chef islamiste d'un gouvernement de la Turquie, est en effet bien loin. Erbakan, président du Refah Partisi (RP, «Parti de la prospérité»), «ancêtre» de l'AKP, fut Premier ministre entre juin 1996 et juin 1997 et c'est dans son sillage que l'actuel Premier ministre s'est formé. Mais Recep Tayyip Erdogan a largement tiré les leçons des erreurs de son ancien mentor pour refaçonner un parti qui se qualifie lui-même de centre-droit dans l'échiquier politique turc. De fait, outre les milieux populaires, l'AKP bénéficie du soutien et de la confiance des milieux financiers turcs qui ont vu dans le parti de M.Erdogan un puissant moteur de développement économique du pays. En fait, sans renier ses origines islamistes, le Premier ministre turc a fait montre d'un pragmatisme de bon aloi en redonnant, sous son mandat, un dynamisme certain à l'économie. La Turquie qui a connu la révolution kémaliste, par la laïcisation du pays, entame une autre révolution sous la férule d'un Erdogan qui donne de l'islamisme une image «soft» très fréquentable. Forts d'une légitimité confortée, Recep Tayyip Erdogan et son parti doivent cependant trouver, dans les meilleurs délais, une solution à la crise de la présidence de la République. Et c'est là un test auquel l'AKP ne peut surseoir, à moins qu'il ne fasse l'impasse sur ce poste, certes protocolaire, cependant très convoité de par les prérogatives que lui accorde la Constitution, et le poids qu'il peut avoir sur la destinée du pays. Et c'est ce pouvoir qui justifie les laïcs dans leur opposition à l'accès à la tête de la République d'un islamiste, même aujourd'hui converti à la démocratie. Aussi, si M.Erdogan a gagné la première partie de son coup de poker, il lui reste encore le plus difficile à faire: donner un président à l'Etat.