Le parti «conservateur» AKP remet en jeu, ce dimanche, sa suprématie sur le Parlement turc. Des élections législatives anticipées se dérouleront dimanche en Turquie auxquelles prendront part quatorze partis. Mais la configuration politique actuelle a peu de chance de changer et nombreux seront les partis qui buteront sur l'infranchissable barre des 10% pour accéder à l'Assemblée nationale. Les 550 députés sortants, venaient de deux formations, l'AKP (parti de la Justice et du Développement, conservateur, islamiste modéré) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le CHP (parti républicain du Peuple, centre-gauche) de Deniz Baykal. Ces deux partis crédités respectivement de 34% et de 19% aux élections de 2002, semblent encore incontournables selon les sondages qui leur donnent 40% d'intentions de vote pour le premier et entre 20 et 25% pour le second. En fait, une telle configuration, si elle venait à se confirmer dimanche, laissera en l'état la situation et perdurer les raisons qui ont présidé à l'avancement de quatre mois de la consultation électorale. En effet, le ratage en mai de l'élection du président de la République -qui devait succéder à Ahmet Sezer Necdet dont le mandat à la tête de l'Etat s'est achevé- a provoqué les élections anticipées des législatives, après l'échec de l'AKP à faire élire son candidat, le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül. Toutefois, si les sondages laissent prévoir une reconduction de l'Assemblée nationale dans son actuelle configuration, il est aussi fort possible que des petites formations parviennent à franchir l'obstacle des 10%, dont le parti de l'action nationaliste (MHP, extrême droite) - qui aurait le plus de chances de rejoindre le Parlement - selon les observateurs sur place. Aussi, le scrutin de dimanche, qui doit théoriquement clarifier les choses, risque donc de les embrouiller plus en étant un simple coup d'épée dans l'eau. D'ores et déjà, les deux principaux partis en lice se sont positionnés, l'AKP montant même la barre très haut lorsque son chef, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, menace de «quitter la politique» si son parti ne remporte pas la majorité absolue qui lui permette de «gouverner» seul. Cette sortie de M.Erdogan a été diversement appréciée par la classe politique et, notamment par son challenger principal, le CHP qui «condamne» ce qu'il a assimilé à un «chantage» envers le peuple. Le parti républicain du peuple (CHP), fondé par le père de la Turquie moderne, Kemal Atatürk, reste attaché à la laïcité et soupçonne l'AKP, revenu de l'islamisme militant, de vouloir faire de la Turquie une République islamique. Aussi, le CHP se présente-t-il comme le contre-poids au mastodonte parti de la Justice et du Développement qui domine la vie politique turque depuis quelques années. Au printemps dernier à l'appel des partis laïcs, des millions de personnes ont manifesté à Istanbul et à Ankara, pour défendre la laïcité et dénonçant la «dérive islamiste» du gouvernement Erdogan. Même l'armée était alors montée au créneau, avertissant solennellement qu'elle ne resterait pas les bras croisés si le fondement de la nation turque était touché (entendre le laïcisme). Cependant, il semble bien que la situation a beaucoup évolué en Turquie ces dernières décennies, rendant plus mince la frontière entre les tenants du laïcisme kémaliste et les «islamistes» dits modérés qui, de leur côté, ont fait du chemin et mettant beaucoup d'eau dans leur vin, rendant en vérité plus complexe le champ politique turc si l'on observe que de nombreux intellectuels et figures de proue du champ politique, ont rejoint le parti de M.Erdogan. Cela d'autant plus que le parti kémaliste, quoique se présentant comme social- démocrate, est accusé de dériver de plus en plus vers le nationalisme, et n'étaient plus en phase avec l'idéalisme kémaliste. Ce qu'illustre le passage de l'ancien secrétaire général du CHP, Ertugrul Günay, idéologue de la gauche, chez son grand rival l'AKP. Beaucoup d'autres personnalités de l'intelligentsia turque sont ainsi passées chez les islamistes «modérés» de l'AKP, lequel a présenté nombre d'entre elles comme candidats à la future Assemblée nationale, se positionnant ainsi comme représentatif de sensibilités politiques plurielles. De fait, de nombreuses personnalités de la gauche, ainsi que des femmes, des entrepreneurs libéraux et d'anciens parlementaires de centre-droit sont têtes de listes et en position élective dans plusieurs circonscriptions. D'ailleurs, les responsables d'AKP réfutent le qualificatif «d'islamistes» se présentant comme étant «au centre de l'éventail» politique turc. En fait, toutes les cartes du puzzle turc font de l'AKP le grandissime favori, reste seulement à voir s'il aura ce qu'il demande: la majorité absolue. Mais attention au piège de la suffisance. Toutefois, ces débats politiciens ont été assombris par l'assassinat mardi à Istanbul du candidat indépendant, Tuncay Seyranlioglu, jetant le froid sur une campagne qui s'est alors déroulée sans accrocs notables.