La première cellule des institutions de l'Etat est devenue la première source des tensions sociales. Et l'avenir est plus inquiétant encore. Les émeutes de Mohammadia - commune algéroise très sensible - avant-hier, ont failli dégénérer en une véritable guerre entre les forces de l'ordre et les frondeurs. Durant une bonne partie de la matinée, jets de pierres, cris hostiles et attitudes guerrières ont émaillé les incidents, et l'on a vu, tout à coup, rejaillir les mêmes prémices de violence radicale que celle qui, sous d'autres habillages, a caractérisé le mouvement islamiste de 1991, puis le mouvement citoyen, dix ans après. Au centre des émeutes, depuis le début de l'été, la gestion anarchique des APC. Depuis une dizaine d'années, la cité est malmenée entre des politiques irresponsables et des responsables «déresponsabilisés». Si l'on reproche aux APC islamistes d'avoir fait dans le militantisme primaire et l'électoralisme le plus exécrable, c'est parce que c'était une réalité. Comme il serait tout aussi à propos de lacérer la gestion des DEC, puis celle du «mandat RND», qui a fait main basse sur les collectivités locales de 1997 à ce jour. Ces dix années de gabegie ont creusé le fossé entre l'élu et ses électeurs, entre l'APC et les citoyens et, partant, entre l'Etat et son peuple. Qu'en reste-t-il aujourd'hui? Des communes à faire, des maires à trouver, des proconsuls à former. Imaginez que parmi les dizaines de motifs qui ont conduit à des émeutes destructrices à Alger entre juin et décembre 2001, figurent en bonne place des problèmes aussi insignifiants que le raccordement d'une conduite d'eau depuis le village vers un hameau éloigné de moins de 500 m, le goudronnage pour les villageois d'un tronçon de route qui n'excède pas 1000 mètres, et, comble de malheur pour le pays de Sidi Abderahmane, la programmation par le président de l'APC d'une journée de réception des doléances de ses administrés! Est-il à ce point difficile de faire une rallonge des conduites d'eau? Est-ce si difficile de construire 600 mètres de route goudronnée? Est-il à ce point risqué de recevoir les citoyens, écouter leurs soucis et essayer de résoudre les problèmes qui se posent à eux? En fait, voilà ce qui a gan-grené les communes: l'élection d'un candidat est devenue un moyen de promotion sociale, un marchepied «pour la gloire». Et pour y parvenir, le futur élu ment, triche et fraude. Résultat: dès son élection, il se coupe des citoyens, subit leur colère et s'en «démarque». Ils deviennent des «autres», presque des ennemis qu'il lui faut supporter, endurer, cinq ans durant, et, au terme d'un jeu de «je-te-tiens-tu-me-tiens...» très grotesque, il cède sa place, non les biens qu'il a (mal) acquis à un autre faux-vrai élu.Tenez-vous bien: près de 1500 élus d'APC ont été traduits devant la justice en moins de cinq ans! Un chiffre ébouriffant et qui n'existe dans aucun autre pays que le nôtre. Scandaleux! Mauvaise gestion, dilapidation de deniers publics, détournement, faux en écritures, marché frauduleux et corruption sont les chefs d'inculpation qui ont conduit ces élus à la prison, au retrait de confiance ou à la mise en examen. Alger et Oran, villes-mastodontes de par leurs potentialités, leurs richesses et les enjeux politiques et sociaux qui les sous-tendent, ont connu le plus grand nombre de scandales, liés au foncier, au logement ou à l'aide sociale. Des communes comme Bir Mourad Raïs, Maqaria, Bordj El-Kiffan, Birkhadem, Gdyel, Aïn Turck, Aïn Biya, Bethioua ou Marsat El-Hadjadj ont été très fortement éclaboussées par ces scandales. Tenez-vous bien encore: il existe près de 9000 élus dont le nom a figuré parmi les bénéficiaires de biens sociaux et près de 1200 biens divers leur ont été affectés de 1997 à ce jour. Les élus APW, n'ont pas été en reste: près de 1200 biens sociaux leur ont été octroyés d'une façon ou d'une autre. Des milliers de recours ont été déposés par les citoyens pour protester contre l'iniquité de leurs élus. Des centaines de plaintes fondées ont été introduites par des citoyens contre des élus, auprès des tribunaux compétents, et ont abouti à l'incarcération desdits élus. A quelques semaines des élections locales (le 10 octobre 2002) on en est encore à discourir sur ce que vont proposer les nouveaux élus à leurs administrés. Incapables de fournir de l'eau courante, ils vont encore promettre des logements aux nécessiteux. Incapables de connaître les contours de leurs propres quartiers, ils iront allégrement faire croire aux citoyens que le problème lié au chômage des jeunes, «c'est fini!». Les APC-FIS, qui ont joué sur la corde électoraliste, ont donné des biens fictifs à des citoyens aveuglés par le discours théologico-politique. Les DEC ont géré la précarité et n'ont jamais rendu compte d'une gestion désastreuse, mais que la flambée terroriste d'entre 1992 et 1997 avait cachée. Les APC RND, depuis la fraude massive de 1997, ont été gérées de la manière qui a abouti à la «kechfa» actuelle. Désormais, les règles du jeu ne doivent plus être comme avant. Au maire, il faut placer des balises, faire un contrat de performance et l'en tenir responsable, aussi bien devant l'Etat que devant ses administrés. Afin que dix années de gabegie ne se prolongent plus.