L'Algérie laborieuse (celle grâce à laquelle notre pays tient debout) déplore l'absence de reconnaissance et de récompense de son mérite et de son labeur. Aucun observateur ne peut se dissimuler la démobilisation très grande de la population. Comme nous l'avons déjà écrit (V. L'Expression du 28 avril 2009), il convient de renouveler toute la problématique de la légitimité du pouvoir en Algérie, laquelle ne peut se ramener à un face-à-face théorique et formel entre gouvernants et gouvernés. En dehors d'une partie de la classe politique, le peuple algérien n'a nullement fait grief au Président Bouteflika d'avoir modifié la Constitution pour se représenter une troisième fois. Nous avions dit deux choses: la première est que la Constitution révisée du 12 novembre 2008 n'instaurait pas la présidence de la République à vie mais permettait à toute personnalité politique d'être candidate jusqu'à la limite de ses capacités physiques, mentales et intellectuelles. Et nous avions dit aussi qu'aucune règle écrite ou implicite n'avait empêché les contempteurs du Président Bouteflika de se présenter contre lui en avril 2009. Surenchérissant dans la diabolisation du chef de l'Etat en présentant sa réélection comme un grand drame national, aucun d'eux n'a eu le courage et la décence de se porter candidat. Comme toujours, seul le Président Liamine Zeroual a adopté une attitude digne. Ceci dit, le professeur A. Benachenhou avait raison d'affirmer que les «citoyens ne croient pas beaucoup aux vertus abstraites des formes d'organisation économique et sociale et encore moins aux débats sur les sources de légitimité du pouvoir. Ils attendent de l'Etat une solution concrète à leurs problèmes: emplois, revenus, éducation...» (L'aventure de la désétatisation en Algérie, 1994). Pour construire l'Algérie de demain, inciter les jeunes à rester dans leur pays pour y vivre et y travailler dans la sécurité et la sérénité, limiter les dégâts de la corruption, préparer l'après-pétrole, limiter la fuite des cerveaux, il faut construire dès maintenant les linéaments du pacte social interne devenu la condition sine qua non de la stabilité future du pays. Aujourd'hui, la population algérienne réclame plus de justice dans la répartition, non de la richesse produite (elles est notoirement insuffisante) mais de la rente pétrolière. Mais, elle revendique contradictoirement une politique d'aménagement du territoire, une réduction des différenciations sociales et culturelles, un accès moins aléatoire au logement. L'Algérie laborieuse (celle grâce à laquelle notre pays tient debout) déplore l'absence de reconnaissance et de récompense de son mérite et de son labeur. Quant aux élites intellectuelles, elles entendent participer davantage au mouvement associatif autonome (à l'instar de la Laddh) et se lamentent de la dévalorisation de leur statut symbolique et matériel, alors que celui des rentiers, des spéculateurs et des fraudeurs à la loi ne cesse de renforcer son audience sociale. Le pacte social interne peut se décliner à travers la politique d'aménagement du territoire que le courageux et éminent C. Rahmani ne peut mener à bien, seul. Il se décline aussi grâce à un traitement équitable de toutes les régions du pays, la libération des forces du travail, la réhabilitation des compétences algériennes (de l'intérieur comme celles de la diaspora). Mais ce pacte présuppose pour sa formulation et, plus encore pour sa mise en oeuvre, l'exemplarité du comportement des élites dirigeantes. De celui-ci dépend la reprise de la confiance chez nos concitoyens et de lui dépend également l'attractivité future de notre territoire pour les IDE nécessaires à son développement et l'accroissement de son influence sur la scène régionale. L'aménagement du territoire Nos décideurs peuvent-ils se résigner, d'ores et déjà, à ce que d'ici 2015-2020, 80% de la population vivent sur une étroite bande côtière du Nord, dont il faut rappeler qu'elle est traversée par une faille sismique d'ouest en est? Peuvent-ils se résigner à assister à la bidonvillisation des villes d'Alger, d'Oran, de Constantine et d'Annaba que l'on persiste à qualifier de mégalopoles au sens positif du terme au mépris même du principe de réalité? L'actuel ministre chargé de l'aménagement du territoire avait une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme en juin 2004 sur Canal Algérie, dramatisant à dessein les dangers d'un exode rural non maîtrisé pour l'ensemble du territoire national. En réalité, il convient d'agir sur deux registres: celui de la prévention et celui de la répression. Mais le temps presse. Celui de la prévention comporterait les mesures suivantes: 1. achever l'autoroute Est/ Ouest dans les règles de l'art et réussir le maillage routier de l'ensemble des régions qu'elle traverse; 2. s'assurer que le maximum d'externalités positives résultera de ce grand oeuvre; 3. décentraliser l'administration et surtout élaborer une fiscalité locale qui permette aux collectivités locales de réaliser des projets et de faire face à leurs engagements financiers vis-à vis de leurs différents fournisseurs; 4. créer une fonction publique territoriale dont le statut serait privilégié par rapport à celui de la Fonction publique d'Etat; 5. encourager le fleuron de notre intelligentsia non pas obligatoirement à s'installer dans l'arrière-pays mais à y effecteur de fréquents séjours pour la prise en charge sociale, culturelle et économique des citoyens de ces zones (formation, soins, assistance technique, etc.); 6. conditionner les avantages fiscaux, douaniers et autres et même le transfert à l'étranger d'une partie des bénéfices réalisés par les investisseurs étrangers à la réalisation de leurs investissements dans les régions de l'intérieur, en les associant à l'instauration de véritables pôles de compétitivité dont l'implantation ne serait plus envisagée sur le littoral. Le registre de la répression est également nécessaire mais les autorités algériennes répugnent à s'en servir. Le gouvernement algérien pourrait s'inspirer de l'exemple tunisien qui consiste à empêcher de s'installer dans les grandes agglomérations des personnes qui viennent de l'intérieur. A ce compte, les Algériens ne pourraient se rendre à Alger, Oran, Constantine ou Annaba que munis de certificats d'hébergement dûment vérifiés et comportant une durée maximale de séjour dans ses villes (sauf évidement pour ceux qui se déplacent pour des raisons professionnelles). Pas question de les laisser squatter des périmètres qui ne leur appartiennent pas, de construire sans permis, enfin de s'inscrire, par priorité, sur les listes d'attribution de logements sociaux, alors que les résidents sont en attente d'un logement depuis 30 ou 40 ans et ne peuvent aller nulle part. L'Etat ne peut encourager cette funeste dérive qui alimente ressentiment et amertume, sinon désespérance chez les résidents originaires de ces grandes villes. Toutefois, la solution ferme postule que l'arrière-pays ait été préalablement et substantiellement transformé, ce qui est la vocation du Pcsc et du plan quinquennal. En se montrant raisonnablement optimiste et à condition que ces deux plans réussissent, le visage de l'Algérie pourrait changer en profondeur, à partir de 2015. L'équilibre régional Il suppose que toutes les régions soient traitées sur un pied d'égalité. Il serait contraire aux intérêts à long terme du pouvoir de négliger les soubresauts de la région dont est issu l'essentiel de l'élite intellectuelle du pays et qui s'est, la première, soulevée contre l'occupant colonial. Pour le surplus, cette région ne réclame ni l'indépendance ni l'autonomie mais seulement la reconnaissance de son appartenance à part entière à la nation algérienne, une et indivisible. Economie de marché et défaillances de l'Etat Il revient largement à la puissance publique de pallier les défaillances du marché et d'imposer ce faisant, la primauté de la libre concurrence. L'Etat algérien possède un rôle qu'aucune autre institution ne peut exercer à sa place, qu'il s'agisse de protéger les droits de propriété intellectuelle, d'accorder des niches sociales au profit des entreprises pour lesquelles le coût du travail est exorbitant, de faciliter le financement de l'innovation et de la recherche/développement dans les entreprises importantes qui recrutent ingénieurs, informaticiens, techniciens supérieurs, etc. L'Etat peut enfin aider les différentes PME/PMI qui se plaignent d'être sous-utilisées sinon marginalisées en leur passant des commandes publiques. Mais, jusqu'ici, cependant, on ne peut pas dire que l'Etat a été en mesure de garantir les règles du jeu, notamment la question des droits de propriété et l'assurance que les règles de la concurrence seront respectées, quel que soit le secteur concerné. A cet égard, le Conseil de la concurrence qui a vu ses pouvoirs considérablement renforcés par l'ordonnance, du 19 juillet 2003 relative à la concurrence, est devenu paradoxalement hors-jeu depuis cette date, au profit des autorités de régulation sectorielles dont l'indépendance est hélas! toute relative, comme le démontre à l'envi le conflit entre AT et l'Eepad, lequel, en vertu de la loi du 5 août 2000, aurait dû être soumis à l'arbitrage de l'Arpt et non pas relever de l'appréciation discrétionnaire d'AT, quels qu'aient été les manquements du fournisseur d'accès à Internet à ses obligations. Cet exemple fâcheux montre bien que l'Algérie n'est pas encore un Etat de droit. C'est désormais au président de la République de faire corriger par le gouvernement les défaillances organisationnelles de l'Etat dont une autre des manifestations est l'inertie des APC et des APW. Les mésaventures de la Snvi menacée de façon récurrente de faillite, à cause de l'insolvabilité de nombre de ses clients qui sont des collectivités territoriales, sont emblématiques des défauts de rationalité du fonctionnement de la machine publique. Autre exemple: comment l'Etat peut-il assigner à Sonelgaz des missions stratégiques fondamentales pour les 20 ans à venir et ne pas l'assister dans ses efforts pour recouvrer ses créances? Pis, il est fait obligation à Sonelgaz de fournir en électricité des habitations construites illicitement (ce qui représente des centaines de milliers de personnes à l'échelle du territoire). Le pouvoir ne peut à la fois vouloir éradiquer le phénomène des bidonvilles, exiger la rentabilisation de Sonelgaz et mettre à la charge de celle-ci l'obligation de service universel, sans contrepartie financière aucune des bénéficiaires. Ces défaillances organisationnelles nous paraissent, même limitées volontairement à ces quelques exemples, suffisamment lourdes pour hypothéquer l'émergence d'un pacte social liant producteurs, consommateurs, intérêts des collectivités territoriales et intérêts de l'Etat central. Elles se doublent trop souvent de défaillances allocatives dont la plus flagrante est l'infériorité manifeste dans laquelle se trouvent les institutions de l'Etat (en fait les autorités de régulation) par rapport aux entreprises qu'elles sont censées superviser et contrôler. Une autre défaillance est la persistance d'une concurrence déloyale permettant à des entreprises de disposer de clientèles captives, ce qui est tout à l'opposé de l'économie de marché. Le plus grave, toutefois, ne réside pas dans l'existence de ces anomalies mais dans la volonté délibérée de certains cercles du pouvoir de perpétuer le statu quo et de retarder au maximum les adaptations indispensables réalisées avec succès par certains de nos voisins. Il appartient encore et enfin au président de la République, qui a pris des engagements précis devant la population d'infléchir cette involution. Mais le temps dont il dispose désormais, est limité. (*) Professeur en droit des affaires à l'Université d'Alger