Un livre traduit en plusieurs langues, relatera son parcours. En cet après-midi du mois d'octobre, le ciel de Genève fait grise mine. A l'intérieur du palace genevois, l'atmosphère est feutrée, beaucoup de monde s'affaire autour du journaliste irakien El Zaïdi, son avocat Me Poggia, son frère Haythem et des amis de passage. Tous mettent la main aux préparatifs des prochaines conférences de presse qui se tiendront en Suisse, mais aussi un peu partout dans les grandes capitales européennes. Des bribes de conversation en anglais, arabe et français rompent le silence feutré du bar de l'hôtel: «Mobilisation des médias, occupation américaine, site Internet, fondation El Zaïdi, financement.» De Genève, où le journaliste irakien s'est installé récemment, il s'apprête à plaider la cause d'un Irak occupé par les troupes américaines. Pour étayer ses arguments, un livre traduit en plusieurs langues, relatera son parcours. En cette veillée d'armes, El Zaïdi semble soucieux. Passer de la guerre aux arcanes de la guérilla marketing n'est pas chose aisée. «C'est maintenant que les choses sérieuses commencent, soupire la nouvelle icône de la résistance irakienne. A quoi aurait servi mon geste, si je ne peux pas venir en aide à mon peuple.» Son geste, le reporter irakien l'a mûri pendant des mois, au fur et à mesure des reportages qu'il couvrait pour la chaîne de télévision El Baghdadia. «Sur le terrain, je voyais les GI's écraser de leurs bottes le visage de mes compatriotes durant les contrôles et perquisitions, j'en devenais malade de cette humiliation, j'ai vu trop d'enfants morts. Trop de drames. Il fallait que je réagisse.» Le 14 décembre 2008, il assiste à la conférence de presse donnée par George W.Bush, il donne sa montre à un collègue pour la remettre à son frère au cas où il lui arriverait quelque chose, se déchausse discrètement, récite la chahada, et jette ses chaussures «pointure 43» à la tête du président américain en le traitant de chien. Pas un regret dans sa voix, ni même la peur d'avoir risqué sa vie. «Si Dieu me donnait la possibilité de ressusciter, je referais cent fois la même chose. Du reste que vaut ma vie par rapport à ces centaines de civils qui meurent chaque jour dans mon pays.» Selon ses dires, le bilan de la «libération» de l'Irak serait lourd: cinq millions d'orphelins, un million de veuves et cinq millions de handicapés. Et maintenant? Après avoir purgé une peine de prison de neuf mois, le héros du monde arabe et au-delà, veut aider ses compatriotes en lançant sa fondation caritative El Zaïdi Foundation (*) dotée d'un capital de départ de 20 000 euros et basée à Genève, Tout en se penchant péniblement pour prendre son verre, El Zaïdi raconte son calvaire en prison. «J'avais les yeux bandés, les pieds et les poings liés, Pendant des jours, on m'a battu à coups de barres de fer sur le dos et les genoux pour me soutirer le nom de mes complices imaginaires, or j'ai agi tout seul.» Pour l'instant, l'ancien détenu refuse de se faire soigner, et préfère garder son sourire édenté, comme rappel du drame irakien. Un esprit libre Pour comprendre son geste, il faut remonter à son enfance. Mountadher perd son père encore enfant. A seize ans, il arrête l'école pour travailler dans un petit café de Baghdad comme vendeur de jus de fruits frais ou manoeuvre sur les chantiers. Parallèlement, cet obstiné suit des cours du soir pour décrocher sa maturité. Après des études d'ingénieur en génie mécanique, il décroche son premier job comme rédacteur d'une publication estudiantine: La lutte des étudiants et devient en 2003 délégué syndical des étudiants de Baghdad. «C'est un écorché vif qui n'aime pas l'injustice, explique un proche de son entourage. Muntadher El Zaïdi est un esprit libre qui n'a pas hésité à se rendre un jour sur le plateau du Journal télévisé avec un bébé mort dans les bras, pour dénoncer cette violence. Résultat: une milice religieuse l'a enlevé en 2007 pour le soumettre à des simulacres d'exécution. Des soldats américains sont venus à plusieurs reprises perquisitionner son modeste appartement du quartier chiite Sadr City. Ses reportages dérangeaient trop d'intérêts. En période de guerre, chacun a tendance à s'appuyer sur sa communauté pour tenter de survivre. Dès lors, le journalisme indépendant devient un exercice trop périlleux.» Classe politique corrompue D'aucuns lui prédisent un grand avenir politique. Plusieurs partis lui ont proposé d'être en tête de liste pour les élections législatives de janvier 2010. El Zaïdi balaie d'un revers de la main ce chant des sirènes. «La classe politique est corrompue dans son ensemble, ils ont des comptes en banque à l'étranger, de splendides maisons et s'enrichissent avec les Américains sur le dos des Irakiens.» A-t-il au moins fait fortune avec son lancer de chaussures? Qui du cheval en or de l'émir du Qatar et des innombrables dons promis par les régimes arabes? Trois fois rien, tout juste un petit appartement offert par son ancien employeur. Mais pour le reste, ce célibataire de trente ans préfère éluder diplomatiquement la question. «A vrai dire, j'attends que ma fondation soit opérationnelle pour demander des soutiens financiers.» Encore très marqué par ces épreuves, El Zaïdi se prend à rêver à voix haute: «Après la guerre, il n'y aura plus que des Irakiens, chiites, sunnites, chrétiens, tout cela relève de la sphère privée. Nous sommes tous en train de souffrir, conclut ce farouche partisan de la laïcité.» Etrange, comme un simple lancer de chaussures peut radicalement changer le destin d'une vie. Son voeu le plus cher? Se rendre en Algérie, le pays d'un million et demi de martyrs. www.alzaidifoundation.com