Les adeptes de cette pratique affûtent leurs stratégies pour collecter, principalement, des sommes d'argent que bien des salariés leur envieraient. Il est environ dix heures du matin, la sonnerie de l'appartement retentit, stridente et ininterrompue. Une urgence? Une mauvaise nouvelle? J'ouvre la porte. Je me retrouve nez à nez avec une vieille femme de près de quatre-vingts ans correctement vêtue. J'interroge du regard cette inconnue. Elle me tend la main en prononçant les formules d'usage qui bénissent toute bonne action comme pour conclure une transaction financière qui sanctionnera un acte de charité. Le phénomène est loin d'être isolé dans cette cité des Fonctionnaires, occupée en majorité par les enseignants de l'université Abderrahmane-Mira de Targa Ouzemmour à Béjaïa. Depuis de nombreux mois, un couple de préadolescents, une dizaine d'années au plus, sans doute frère et soeur, a pris l'habitude d'écumer les six bâtiments de la cité. Deux blondinets plutôt très bien portants, du moins en apparence. Munis de cabas, ils ne refusent rien. La priorité est cependant accordée aux pièces de monnaie sonnantes et trébuchantes. Les mendiants s'adaptent, se redéploient. Ils font du porte-à-porte après avoir investit les espaces publics. Ils sont de plus en plus jeunes. Il y a quelques jours, alors que l'on était attablés autour d'un café à «l'Akfadou» un établissement incontournable, des journalistes de la presse écrite de Béjaïa, situé à, une centaine de mètres du bureau de L'Expression, une adolescente d'environ une quinzaine d'années y a fait irruption vêtue du fameux tablier rose exigé par le ministre de l'Education nationale. Elle revenait de l'école. Plutôt jolie mais l'air terriblement gêné et effarouché. Elle a serré la main de quelques clients et du patron sans parvenir à prononcer un seul mot. Elle semblait pétrifiée. Elle a fini par tendre la main. Ses lèvres remuaient à peine. Ses paroles étaient inaudibles. C'était selon toute vraisemblance la première fois qu'elle s'essayait à cette pratique. Sur le boulevard de la Liberté, c'est un handicapé moteur, déficient mental de surcroît, qui squatte un bout de trottoir non loin des services administratifs de l'APC de la ville. D'après des informations que nous avons pu recouper, il est quotidiennement déposé, chaque matin en voiture, par des membres de sa famille. Il est récupéré à la fin de la journée. Ces personnes sont connues à Béjaïa. Elles sont propriétaires de leurs appartements et vivent dans une aisance qui n'est pas étrangère aux recettes financières procurées par l'exploitation de la condition dramatique d'un des leurs. L'argent n'a vraisemblablement plus d'odeur ni de saveur. Qu'il provienne d'une situation humiliante ou dégradante n'a guère d'importance. Le phénomène est cependant préoccupant. Il se généralise. La mosquée d'El Khemis toute proche du square Pasteur est infestée de femmes en haillons, étrangères à la wilaya, assises à même le sol, des bébés roses entre les bras qui n'ont rien d'enfants menacés par la famine, sollicitent la générosité des citoyens à longueur de journée. Le fléau est national. On parle même de réseaux. La mendicité peut être observée sous toutes ses coutures. A titre d'exemple, à la gare du Caroubier, des mendiants n'hésitent pas à pénétrer à l'intérieur des autobus. Ils mettent en exergue leur état de santé, brandissant des ordonnances vieillottes qui pourraient dater probablement de plusieurs années. Tout cela sous l'oeil passif des contrôleurs et des chauffeurs. L'enceinte réservée à ces moyens de transport qui desservent l'ensemble du territoire national étant pourtant interdite si l'on n'est pas muni d'un titre de voyage. Dès les premières années de l'Indépendance, l'Etat algérien s'est attelé à l'éradication du phénomène de la mendicité et de l'exercice des petits métiers dégradants. En témoigne l'efficace prise en charge des petits cireurs de la place des Martyrs dans la capitale. Pendant les années 1970, les mendiants avaient complètement disparu du paysage, notamment dans les grandes villes. Interpellé sur la question lors d'une séance à l'APN au mois d'octobre 2008, soit une année pratiquement jour pour jour, le ministre de la Solidarité nationale Djamel Ould Abbès, a affirmé que l'Etat avait prévu une enveloppe de 20 millions de dinars pour la réalisation, à partir de 2009, d'une enquête sur le phénomène des réseaux de mendicité.