Faute de n'avoir pas encore procédé à l'écriture de notre histoire, la question de savoir si l'esprit de Novembre est toujours présent mérite d'être posée. Les valeurs de sacrifice, de patriotisme et d'abnégation constituent le legs fondamental des acteurs qui ont déclenché la révolution du 1er-Novembre. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est peut-être également l'héritage le plus lourd à porter pour la génération actuelle, 55 ans après l'affirmation de ces principes. Est-ce à dire que l'Algérie de 2009 n'a plus rien à apprendre des enseignements de la génération de 1954? Est-ce que tout le potentiel révolutionnaire des fils de la Toussaint est épuisé? Loin de là. Pourtant, la transmission de l'histoire à la nouvelle génération n'est pas le chantier le plus facile pour les initiateurs de la guerre de Libération. Et la frustration n'est pas seulement du côté des moudjahidine soucieux de perpétuer leurs idéaux. Les jeunes sont tout aussi perplexes de l'usage à faire de la révolution. Ils s'entendent dire, à longueur de journée, qu'ils ont toutes les raisons de s'estimer moins valeureux que leurs aînés qui n'ont pas hésité à risquer leur vie pour la libération du pays. Ces jeunes, faute d'un idéal post-révolutionnaire, se mettent alors à la recherche de leur propre univers idéalisé. Mais là, il ne s'agit point d'un projet altruiste. D'autres cultures et de nouveaux modes de pensée ont fait que toutes les aspirations se sont orientées vers la satisfaction de desseins individuels. C'est la première rupture entre les générations et c'est le premier mal auquel il faut s'attaquer par la proposition d'un nouveau dessein national qui ne fasse pas seulement courir les citoyens derrière le gain facile, mais qui leur permette également de rêver à une destinée commune.Mais le rêve a-t-il encore de la place pour toute une partie de la population contrainte à un mouvement de rue pour arracher ce qui était considéré avant 1989 comme un droit, comme l'emploi et le logement? Sauf à inscrire cette propension à tout contester comme l'un des aspects de l'héritage de Novembre rejetant toute forme d'injustice et de privation. La révolution peut très bien manger ses fils, mais ses petits-fils refusent de se faire dévorer. La volonté de vouloir faire de la révolution une histoire mythique n'a fait que renforcer le sentiment selon lequel cet épisode, vécu par l'Algérie, est un événement unique non reproductible. Le culte de son souvenir a alors été abandonné à une seule catégorie de la population au point d'en faire les membres d'une seule et même famille, à l'exclusion de tous les autres. Il faut dire aussi que le fait que de nombreux témoins de l'époque aient commencé depuis quelques années à livrer leurs témoignages, a contraint de nombreux citoyens à chercher des sources non officielles pour connaître leur histoire. Cela complique davantage la tâche de l'historiographie, officielle par définition. On est encore loin du révisionnisme, mais la vérité gagnerait à sortir entière au grand jour sans quoi l'histoire risque fort de ne plus être qu'une page poussiéreuse, rangée au fond des tiroirs. Dispensant de l'effort de se regarder dans un miroir. Pourtant ce regard est essentiel, ne serait-ce que pour être capable de se mesurer à l'autre. D'ailleurs, même le maintien au beau fixe des relations avec l'ex-puissance colonialiste ne peut faire l'économie de cet effort.Les demandes incessantes de l'acte de repentance adressées par l'Algérie à la France ne sont pas générées par un sentiment de haine. Elles proviennent d'un constat ou d'une conviction que le colonialisme ne peut pas être absout de toute responsabilité dans le sort qu'a connu l'Algérie. 132 années de colonialisme laissent évidemment des stiganats. Les mémoires de deux peuples et de deux nations ont été liées par la force. Et elles n'ont pris des voies séparées que par les armes. Les accords issus de la guerre n'ont pas laissé beaucoup de place au règlement des questions de mémoire. A l'époque, il fallait agir rapidement pour régler les questions liées à la nationalité et à la propriété ou encore aux arsenaux militaires de la France qui devaient prolonger leur présence en Algérie au- delà de 1962. Mais une fois que la France s'est départie de sa terminologie considérant que ce qui s'est passé ne dépassait pas une simple opération de maintien de l'ordre, la voie était ouverte à l'Algérie de penser à réclamer autre chose que des indemnités de guerre.