Pour le philosophe français, l'intellectuel ne devait pas se tenir à l'écart de l'Histoire. Encore une fois, Francis Jeanson était au rendez-vous. Et pour cause, une table ronde lui a été consacrée, mardi dernier dans le cadre du Salon international du livre d'Alger (Sila), lequel Salon se tient aux alentours du Complexe sportif Mohamed-Boudiaf, sur les hauteurs de la capitale. La table ronde a été animée par M.Mohamed Bouhamidi, journaliste. A la rencontre étaient conviés M.Ali Haroun, militant de la cause nationale, M.Olivier Jeanson, le fils de Francis Jeanson, le Pr Pierre Chaulet, médecin journaliste, et sa compagne Mme Claudine Chaulet, Badredine Mili, écrivain journaliste, M.Dominique-Emmanuel Blanchard, philosophe et éditeur, ainsi que d'autres intervenants qui ont connu de près M.Francis Jeanson. Parmi ces derniers, se trouvait Mme Aline Moussaoui, ancienne membre du réseau Jeanson. Pour rappel, ce réseau à été constitué pour soutenir matériellement la guerre de Libération nationale. Les débats ont duré plus de deux heures. Et oui! Il n'est pas facile de cerner les multiples facettes d'un personnage aussi important que Francis Jeanson. De sa voix mélodieuse, Sid-Ahmed Agoumi, l'acteur, entrecoupait les débats par des lectures de texte. A deux fois, le comédien est intervenu pour lire des extraits du «philosophe des opprimés» et ceux de Frantz Fanon, le psychiatre qui a combattu l'aliénation coloniale. En guise d'introduction, un documentaire de 26 minutes est projeté. Intitulé Adieu Francis Jeanson, le documentaire portait sur le sens de l'intervention de Francis Jeanson dans la Révolution algérienne. Le plus extraordinaire dans ce documentaire, c'est qu'on y retrouve Francis Jeanson, quelques mois seulement avant sa mort. Sur ce plan, M.Ali Fateh Ayadi, le réalisateur du film, a réussi un coup de maître. Ainsi, les anciens compagnons de l'intellectuel engagé se sont retrouvés autour de lui...après sa disparition. L'émotion était à son comble quand le visage du philosophe est apparu sur l'écran. La vérité émotionnelle apparaissait sur les visages ridés des anciens compagnons de lutte. M.Ali Haroun se souvient de sa première rencontre avec Francis Jeanson: «C'était durant l'été de 1957 à Madrid. A l'époque, la révolution disposait de trois organes d'information. Ces organes étaient diffusés l'un à Tetouan (Maroc), l'autre à Tunis et le troisième à Paris.» Selon M.Ali Haroun, Abane Ramdane avait arrêté les priorités de la révolution en deux points: coordonner les organes d'information et porter la révolution en France. Sur ce plan, l'intervention de Francis Jeanson a été essentielle. «En 1958, M.Francis Jeanson commençait à constituer son réseau», se souvient, encore, M.Ali Haroun. Pour sa part, le Pr Pierre Chaulet, a estimé qu'«à l'époque, Francis Jeanson avait compris une chose:la Révolution algérienne était une question de libération, celle d'un peuple». Cette vision a provoqué un choc frontal entre le philosophe et Albert Camus. En effet, ce dernier soutenait que les révolutions contenaient en elles les germes de la négation des libertés. M.Francis Jeanson s'était franchement opposé à cette lecture. Ainsi, ce dernier affirmait que l'intellectuel ne devait pas rester en marge de l'histoire. Cela dit, d'autres intervenants ont tenu à rappeler que le philosophe s'était engagé en faveur de la question algérienne, en tant que Français. C'est-à-dire qu'il représentait les valeurs de la France des libertés et de l'égalité. Des valeurs auxquelles il croyait fermement. «Francis a souvent soutenu qu'il n'était pas un révolutionnaire», a déclaré M.Dominique-Emanuel Blanchard. Pour ce dernier, «Francis Jeanson est un philosophe du réel. La liberté constituait le sens de sa vie». Et M.Blanchard de trancher: «Il ne faut pas réduire Francis à la Révolution algérienne.» A ce propos, M.Olivier Jeanson, le fils du philosophe a précisé: «Dans l'action de Francis Jeanson, il y avait toujours la dimension française. C'est-à-dire qu'il contribuait au réveil de la conscience citoyenne française sur des questions qui interpellaient ses valeurs, tel que celle de la Bosnie.» L'action continue de Francis Jeanson traduit «une quête permanente du sens», a analysé, pour sa part, M.Badr Eddine Mili. La quête du sens, voici qui constitue la substance du combat de Francis Jeanson pour la libération de l'homme de différentes formes d'assujettissement.