«Entreprendre consiste à changer un ordre existant» Joseph Schumpeter Le moteur de la civilisation est, dit-on, l'énergie. Quel monde de l'énergie aurons-nous en 2030? Quels types d'énergie allons-nous consommer? Quel sera leur coût et quels impacts auront-ils sur le climat? Nous allons décrire le monde de l'énergie en 2030 tant du point de vue des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) que de celui du développement des énergies renouvelables dans un contexte unique pour l'humanité: la diminution inexorable des énergies fossiles, notamment le pétrole moteur de la mécanisation, et de l'imminence des changements climatiques dus, pour une large part, à une pollution anthropique qui fait que nous rejetons dans l'atmosphère plus de 27 milliards de tonnes de CO2 et dans l'acidification des océans, l'addiction à l'automobile et en règle générale les transports sont responsables de près d'un tiers de la consommation d'énergie. Etat du monde de l'énergie Le monde actuel présente à bien des égards une situation paradoxale. La population mondiale est de 6,8 milliards d'individus On compte plus d'un milliard de personnes sous-alimentées dans le monde. Près de 1, 4 milliard de personnes n'ont pas accès à un point d'eau potable. Il faut savoir de plus que 80% de l'énergie dans le monde sont consommés par 20% d'habitants de la planète, principalement les pays industrialisés et les 80% de la planète consomment 20% de l'énergie généralement traditionnelle (bois) ou renouvelable comme l'hydraulique. Il y a donc un rapport de 1 à 16; en clair par exemple, un Américain consomme 8 tonnes de pétrole par an contre 1, 8 tonne en moyenne mondiale et à peine 0, 5 tonne pour la plupart des pays africains. L'Algérie consomme 1 tonne mais elle peut en consommer moins du fait d'un gaspillage important évalué à au moins 20%. Le problème des réserves en hydrocarbures et le prix de l'énergie Le temps du pétrole abondant et bon marché sera très bientôt derrière nous. C'est le cri d'alarme du docteur Fatih Birol, chef économiste à l'Agence internationale de l'énergie, organisme basé à Paris. Dans un entretien accordé au journaliste Steve Connor du quotidien britannique The Independent, Fatih Birol donne une évaluation très pessimiste des réserves de pétrole à l'échelle de la planète. Selon lui, la production mondiale devrait atteindre son niveau maximum dans une dizaine d'années, c'est-à-dire au moins dix ans plus tôt que prévu par la plupart des estimations des pays de l'Ocde. Il ajoute que cet «oil crunch» devrait se traduire par une augmentation durable du prix du baril car la demande continue à augmenter et devrait même dépasser l'offre disponible dès l'année 2010(1). Après l'envolée des prix de juillet 2008 (147 dollars mais à peine les 30 dollars atteints en 1982 en dollars constants), il y eut une chute brutale des prix malgré les retraits de l'Opep: on se souvient que le pétrole a atteint 35 dollars en décembre 2008. La situation de 2009 se présente différemment, le prix du pétrole se stabilise autour de 70 dollars. Pourtant, le pétrole se fait de plus en plus rare. Selon une étude de l'AIE, à partir de l'année prochaine, la production mondiale de pétrole va décroître à un rythme de plus en plus élevé, que ce pétrole soit «conventionnel» et facile à extraire ou qu'il s'agisse de pétrole dont les conditions d'extraction sont difficiles, très coûteuses, techniquement risquées et aléatoires, très coûteuses aussi pour l'environnement. Les variations de prix du pétrole au cours des prochaines années, en hausse ou en baisse, ne seront qu'un épiphénomène. L'évolution sur une longue période sera une augmentation constante des prix à mesure de la rareté croissante du pétrole. Divers facteurs économiques (récession), climatiques (hivers doux) ou autres peuvent soit retarder le moment de ce déclin, soit conduire à une fluctuation en forme de «tôle ondulée» du maximum de la production. Le monde est beaucoup plus proche de manquer de pétrole que les estimations officielles ne l'admettent, selon un informateur de l'Agence internationale de l'énergie qui affirme qu'elle a délibérément minimisé une pénurie imminente de peur de déclencher des achats paniques. La dernière édition du World Energy Outlook prévoyait une production de 105 millions de barils/jours, alors que des voix à l'intérieur de l'agence s'interrogent et redoutent que la fourchette 90-95 mb/j ne soit intenable.(2) Désormais, la théorie du «pic pétrolier» trouve des partisans au coeur même du secteur de l'énergie. «L'AIE prévoyait en 2005 que la production de pétrole pourrait s'élever à 120 millions de barils par jour en 2030, mais elle a été contrainte de réduire progressivement ce chiffre à 116 mb/j puis 105 l'an dernier», «Nombre de personnes à l'intérieur de l'organisation estiment que le maintien de la production, même entre 90 mb/j et 95 mb/j sera impossible, mais il est à craindre que la panique puisse se propager sur les marchés financiers si les chiffres avaient été inférieurs». Matt Simmons, qui est un expert respecté de l'industrie pétrolière, a longtemps contesté les chiffres du déclin de la production et les statistiques pétrolières que l'Arabie Saoudite fournit sur ses propres champs. Il s'interroge sur le fait que le pic pétrolier puisse être beaucoup plus proche que beaucoup ne l'acceptent. Colin Campbell, un ancien cadre de Total France a déclaré lors d'une conférence: «Si le chiffre des réserves réelles [de pétrole] sortait, il y aurait une panique sur les marchés boursiers...au bout du compte cela n'arrangerait personne.» De fait, Fatih Birol assure que les pays non membres de l'Opep auront atteint leur pic de production d'or noir, non pas à un horizon lointain, mais dès 2010! D'ici à 2030, 93% de la demande supplémentaire d'énergie proviendra des pays non membres de l'Ocde (pays émergents et en développement), à commencer par la Chine et l'Inde. Pour satisfaire ces ogres, même si la communauté internationale se lance dans une politique active de substitution des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) afin de lutter contre le changement climatique, l'Opep devra augmenter sa production de 30% au cours des vingt prochaines années. Selon l'AIE, la demande mondiale de pétrole pourrait culminer autour de 2025. Une chose est sûre, résume Birol: «L'ère du pétrole bon marché est révolue.» Les investisseurs sont, de leur côté, soumis à une grande incertitude, souligne-t-il. «Tout le monde attend ce que va donner la conférence de Copenhague sur le climat», qui s'ouvre dans moins d'un mois. Les ministres de ses 28 Etats membres, réunis à Paris en octobre, soutiennent le «scénario 450». 450 «parties par millions» (ppm), c'est la concentration de gaz à effet de serre que l'atmosphère ne devrait pas dépasser dans la seconde moitié du siècle pour éviter une hausse moyenne de la température de plus de 2°C. Au-delà, les experts de l'ONU prévoient un scénario incontrôlable. L'investissement, colossal, évalué par l'agence pour opérer la révolution énergétique est de 10.500 milliards de dollars d'ici à 2030. Ce qui ne représentera que 0,5% à 1,1% de la richesse annuelle mondiale. Elle sera «en partie compensée» par la forte réduction de la facture énergétique. La sécurité d'approvisionnement en serait aussi renforcée. Mais, prévient Nobuo Tanaka, chaque année d'inaction coûtera 500 milliards supplémentaires. Deux scénarios s'offrent aux Etats: poursuivre la tendance actuelle ou investir massivement dans les économies d'énergie et les technologies peu émettrices de gaz carbonique. La politique la plus efficace, rappelle l'AIE, reste l'amélioration de l'efficacité énergétique. L'agence plaide pour un développement de l'éolien, du solaire, des agro-carburants, du nucléaire et du captage-stockage du CO2. Et la fixation d'un prix de la tonne de carbone (50 dollars en 2020 dans les pays de l'Ocde).(3) Cependant, le croyons-nous, on ne peut qu'accélérer le déclin du pétrole avec un prix aussi dérisoire qui incite au gaspillage. Il n'est pas normal qu'un liquide que la nature a mis des dizaines de millions d'années à fabriquer, qui n'est pas renouvelable, qui commencera à manquer dans 10 ou 20 ans, et qui détraque le climat, vaille moins cher que le travail humain en Occident! Depuis 1981, le volume de pétrole extrait chaque année est supérieur à celui des nouvelles découvertes. Actuellement, le volume produit est 3 à 4 fois supérieur au volume découvert. Avec un prix du pétrole par exemple de 70 dollars le baril et un prix du gaz à 7 dollars le British Thermal Unit, l'écart entre les deux est de 12.4 dollars par tonne équivalent pétrole (Tep). Le gaz est moins cher que le pétrole à même équivalent énergétique.(4) L'imminence des changements climatiques et l'espoir de Copenhague Du point de vue des changements climatiques, les pays développés polluent là aussi pour plus de 70%. La pollution se partage globalement en trois secteurs: l'automobile (35%) le résidentiel (30%) et l'industrie-agriculture (35%). Ainsi, à titre d'exemple, 35 millions de voitures sont construites chaque année et qui s'ajoutent au stock des 700 millions de voitures dont 250 millions de voitures pour les seuls Etats-Unis (deux voitures pour trois personnes) et à peine 30 millions de voitures pour la Chine (une voiture pour 60 personnes). D'après les rapports du Giec (organisme spécialisé dans le climat), si on ne fait rien d'ici 2050 l'augmentation de température dépassera les 2°C La planète est surexploitée et chaque année ce qu'elle met à notre disposition est épuisé bien avant la fin de l'année. Les experts de l'Ocde répondent: «Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l'environnement ne proviennent pas du nombre d'habitants mais de leurs habitudes de consommation.» Les discussions préparatoires au sommet de Copenhague sont pour le moment dans l'impasse. Le protocole de Kyoto prévoyait une réduction des émissions américaines de 7% par rapport au niveau de 1990, mais n'imposait aucune restriction aux pays en développement. La Chine, aujourd'hui premier émetteur de GES au monde, [rapporté à l'habitant, le Chinois contribue à la pollution pour 2 tonnes de CO2 par an contre 20 tonnes pour l'Américain et 10 tonnes pour l'Européen ] réclame que les USA respectent leur signature avant de s'engager elle-même, et demande que les émissions soient comptabilisées per capita. (5) Le cycle de négociations préparatoires au sommet de Copenhague, qui s'est tenu à Barcelone, se solde par un échec. Les pays africains ont quitté durant deux jours les discussions pour marquer leur mécontentement croissant devant l'insuffisance des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays développés, au premier rang desquels les USA. Alors que les pays du Sud veulent obtenir la réduction préconisée par les scientifiques, qui est de 40% des émissions pour l'ensemble des pays développés, ceux-ci ne se sont pas engagés au-delà de 10% pour l'instant. Les pays africains ont montré qu'ils étaient prêts à provoquer une crise majeure à l'ONU si les USA et les autres pays riches ne s'engageaient très rapidement à des réductions plus importantes de leurs émissions de gaz à effet de serre.(6) Comment ne pas dépasser alors les 2°C à 2050 c'est-à-dire stabiliser les émissions de CO2 autour de 450ppm? On avait pensé qu'avec l'élection d'Obama et ses premiers discours, la planète avait des chances d'être sauvée. En fait, mis à part des effets d'annonce, surtout dans le développement des énergies renouvelables, l'Administration américaine veut faire porter le poids des grandes baisses de consommation aux pays émergents. La communauté scientifique est claire: il faut réduire d'au moins 25% à 40% les émissions d'ici à 2020 dans les pays industriels. Les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables Beaucoup de pays développés et même des pays émergents prenant en compte toutes les contraintes du futur: inéluctabilité des changements climatiques, pénurie d'énergie due à des épuisements de la plupart des grands gisements, pénurie d'eau, voire même d'uranium, ont adopté des stratégies qui reposent globalement sur trois facteurs: optimiser la croissance en allant vers la sobriété énergétique, diminuer l'intensité énergétique, consommer moins en consommant mieux, aller vers les énergies non carbonées en développant, à marche forcée, les énergies renouvelables. Des études ont montré que les gisements d'économie d'énergie dépassaient les 20% voire les 30%. Une étude de McKinsey, un cabinet d'audit américain, a donné un chiffre astronomique: l'efficacité énergétique (le fait de traquer les pertes d'énergies, très nombreuses) pourrait faire économiser aux Etats-Unis plus de mille milliards de dollars d'ici à 2020. Ainsi, à titre d'exemple, l'Union européenne a pu fédérer les politiques énergétiques de ses 27 Etats autour du triptyque suivant: à l'horizon 2020, elle se fixe comme objectif 20% d'économie d'énergie, une diminution de l'intensité énergétique de 20% et enfin 20% de son énergie sera d'origine renouvelable. Il en est de même de la Chine qui compte investir près de 400 milliards de dollars dans les énergies renouvelables. En France, la mise en place du «Grenelle de l'Environnementent 2007-2008» véritables Etats généraux de l'énergie, a permis à la France de tracer une stratégie énergétique en dehors du nucléaire avec un engagement massif pour les énergies renouvelables. A Tokyo, le nouveau Premier ministre a engagé le Japon à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% d'ici à 2020 par rapport aux émissions de 1990. C'est dire si, en définitive, l'énergie et le climat sont deux préoccupations majeures qui vont structurer durablement l'avenir. Que devrait faire l'Algérie pour s'y préparer? Nous tâcherons d'y répondre dans une autre contribution. (*) Ecole nationale polytechnique (*) Ecole d´ingénieurs Toulouse 1.http://www.lemonde.fr/sujet/34c-3/fatih-birol.hml 4 août 2009 2.Terry Macalister: Prévision de production de pétrole d'après l'AIE, Guardian, 9/11/2009 3.Rapport de l'AIE. Le Monde 10/11/2009. 4.Fabrice Nodé-Langlois: L'AIE et le manque d'investissement. Le Figaro 10/11/2009 5.Dominique Seux: L'AIE sonne l'alarme. Les Echos 11/11/2009 6.John Vidal, Guardian, 4 novembre 2009 http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2878