«Personne n'a jamais pensé mesurer exactement quelle part de Ionesco appartient à quel pays: c'est l'ensemble qui compte», s'insurge le critique littéraire Dan C. Mihailescu. «Ecrivain français né en Roumanie» ou «écrivain roumain de langue française». Les célébrations du centenaire de la naissance du fondateur du théâtre de l'absurde, Eugène Ionesco, se déroulent dans son pays natal sur fond de polémique sur sa «patrie». La controverse oppose la fille du dramaturge, mort en 1994, Marie-France Ionesco, et le monde roumain du théâtre, qui lui reproche d'empêcher que les pièces de son père soient jouées dans ce pays. Au centre de cette polémique, la «roumanité», ou non de Ionesco. «Les Roumains, vous savez, avec le complexe des petites cultures, veulent le récupérer. Et ça, non! Je n'ai rien contre le fait qu'il soit joué en Roumanie, mais comme ailleurs, comme n'importe où ailleurs, ni plus, ni moins», assure Marie-France Ionesco dans une interview, précisant avoir donné l'autorisation à «17 ou 18 théâtres» roumains de le représenter. Selon la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (Sacd, France), la Roumanie ne figure en tout cas pas parmi les six pays (Canada, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Belgique et Allemagne) totalisant la moitié des droits générés à l'étranger par l'exploitation des pièces de Ionesco. «La position de Marie-France Ionesco est inacceptable», proteste le président de l'Union des écrivains et ambassadeur de Roumanie auprès de l'Unesco, Nicolae Manolescu. Selon lui, pour donner son accord à ce que l'auteur de La Cantatrice chauve soit joué en Roumanie, cette dernière pose comme condition de «ne pas dire que son père était roumain. Or comment peut-on mettre en scène ses pièces, à l'occasion du centenaire, sans dire qu'il est originaire de Slatina?», s'interroge M.Manolescu. Né dans cette petite ville du sud de la Roumanie le 26 novembre 1909, d'un père roumain et d'une mère française, Ionesco partit en France à l'âge d'un an, puis revint dans le pays de son père en 1923, y restant jusqu'en 1938. «Je m'appelle Ionesco comme mon père. Ionesco veut dire Fils de Jean. Mon père était Roumain», confiait le dramaturge dans une interview en 1960. Mais, ajoutait-il, «je suis citoyen français. J'ai passé mes premières années en France. Mon enfance est française». Une position défendue par sa fille. «Sa famille maternelle est française, et la patrie d'un auteur c'est sa langue, or tout son théâtre est en français. Personne n'a jamais pensé mesurer exactement quelle part de Ionesco appartient à quel pays: c'est l'ensemble qui compte», s'insurge le critique littéraire Dan C. Mihailescu. «Personne, à part sa fille allergique à sa roumanité», ajoute-t-il, estimant que «l'empreinte roumaine de l'esprit ionescien est définitive». Ionesco «parlait roumain, blaguait en roumain et était orthodoxe. Et s'il critiquait les Roumains, cela fait aussi partie de son appartenance à cette nation, car qui critique plus les Roumains si ce n'est eux-mêmes», abonde le ministre de la Culture, Teodor Paleologu. M.Mihailescu évoque un lien indélébile entre les origines de l'écrivain et son oeuvre: «La Roumanie a toujours été perçue comme un pays de contrastes choquants, où tout fonctionne à l'envers.» La directrice du Festival national de théâtre de Bucarest, Cristina Modreanu, ajoute: «Le théâtre de l'absurde est très actuel en Roumanie, où les gens sont confrontés tous les jours à des situations absurdes, dans les administrations, la politique...»