Elle continue d'ignorer superbement les médias égyptiens. Quatre jours après la victoire des Verts sur les Pharaons, la rue kabyle continue de savourer des moments de joie inoubliables. Toutefois, la ferveur des premières heures a baissé laissant place à une joie plus sereine. Hier, sur les places publiques à Tizi Ouzou, les discussions ne tournaient pas uniquement autour des prestations héroïques des camarades de Karim Ziani. L'escalade de l'agression verbale et la campagne de dénigrement de la presse égyptienne écrite et audiovisuelle sont sur toutes les lèvres. Il faut en convenir: les chaînes satellitaires, les intellectuels ainsi que les artistes égyptiens ont versé dans la plus abjecte diffamation. «Ne plus vendre les films égyptiens à l'Algérie. Ne savent-ils pas que c'est ce qu'on espérait depuis l'Indépendance de l'Algérie?», s'exclama Achour, employé dans un café, aux «Bâtiments bleus». En effet, toute la population commentait les contenus malsains des chaînes égyptiennes. Curieusement, il est à relever un fait. Au moment où toute l'Algérie se réveille sur une Egypte haineuse et qui contraste avec l'image acquise de pays frère, en Kabylie, on commence juste à en parler. On en parle, mais c'est uniquement pour rappeler que cette région n'a jamais été attirée par la production culturelle égyptienne. «Je ne croyais plus qu'un jour, les Algériens découvriraient le véritable visage de ce peuple qu'ils croyaient frère», dit Amar, la cinquantaine. En effet, depuis des décennies, alors que toute la population algérienne succombait au kitsch cinématographique égyptien, la Kabylie demeurait autiste à ce flux médiocre et à l'ensorcellement de la danse du ventre. L'élite intellectuelle kabyle luttait vaillamment contre ce qu'elle considérait comme un opium venu pour assoupir le peuple algérien. Dans les années quatre-vingt, Aït Menguellet dénonçait déjà ces «coffres remplis d'opium envoyés de ce pays qui est l'Egypte» pour éloigner ce peuple qui a donné un million et demi de martyrs pour recouvrer son indépendance et son identité. Malgré le matraquage médiatique et la pression exercée pendant ces années, la population kabyle n'a jamais cru à cette fraternité que la réalité vient de démasquer devant les regards ébahis du reste des Algériens. Matoub Lounès faisait aussi partie de cette élite qui refusait d'admettre que les Pharaons pouvaient être les frères des Algériens. Ne disait-il pas: «Mon père me racontait, qu'au lendemain de l'Indépen-dance, le vent a soufflé d'Egypte», le poète parlait bien sûr de cette supercherie égyptienne. Hier, à Tizi Ouzou, il y régnait un sentiment confus. La joie de la qualification et celle de découvrir qu'il avait raison de n'avoir pas été attiré par la production cinématographique de ce pays «jamais frère». «Dommage qu'un auteur de l'envergure de Naguib Mahfouz n'ait rien appris à ses concitoyens», regrettait Madjid, un licencié en langue et littérature anglaises. Alors que les milieux culturels et artistiques égyptiens ont été démasqués par une simple rencontre de football perdue face à une équipe algérienne, les gens décou-vrent que la pénétration des chaînes égyptiennes est minime en Kabylie. Ce nouvel intérêt n'est provoqué que par l'escalade d'insultes injustifiables. «Cela ne m'étonne pas du tout, et puis c'est une bénédiction de Dieu que les Algériens découvrent que ces idoles qu'ils chérissent ne leur vouent que de la haine», dit Samir, citant en exemple, Ihab Taoufik qui a qualifié les Algériens de «barbares» et de «terroristes». De Chechnek à Chaouchi, l'histoire se répète «Chaouchi qui montait sur les bois pour célébrer la victoire me rappelait le roi berbère Chechnak qui était monté, il y a exactement 2959 ans sur le trône des Pharaons», indiquait Hamid, étudiant à l'université de Tizi Ouzou. Ce que disait ce jeune étudiant exprimait et faisait remonter le subconscient algérien à la surface après tant d'années d'inhibition. Malgré toute cette campagne hystérique d'insultes émanant des chaînes égyptiennes, les Algériens ne semblent nullement touchés. La pseudo-supériorité égyptienne sur le monde arabe et africain est tout simplement battue en brèche par l'histoire ancienne et toute récente de l'Algérie. «Ils ne savent même pas à quoi sert un drapeau. Nous leur avons appris cela quand ils ont vu le nôtre envahir les rues au Caire», affirmait Amar qui racontait les quatre jours passés là-bas. En tout état de cause, la victoire algérienne est éclatante. Sur le terrain, les camarades de Anthar Yahia ont anéanti les Zidan, Amr Zaki et autres Moteab. Sur les gradins, les supporters égyptiens ont appris à être humbles pour quelques heures. La victoire algérienne est effective aussi sur le plan médiatique et diplomatique. Et sur d'autres paramètres que les Egyptiens n'ont pas encore vu ni su voir.