L'intérêt pour cette région coïncide avec une frustration croissante d'Ankara face à l'opposition de membres importants de l'Union européenne à une adhésion turque. La Turquie regarde de plus en plus vers le Proche-Orient, une diplomatie qui conforte sa stature régionale et dynamise ses échanges commerciaux, mais qui suscite des interrogations quant aux orientations à long terme du principal membre musulman de l'Otan. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan se rend en Syrie demain, pour la deuxième fois en six mois, après un voyage en Libye en novembre. Le président Abdullah Gül vient, lui, de recevoir son homologue égyptien Hosni Moubarak, après un déplacement en Jordanie. Ces nombreuses visites illustrent la volonté du gouvernement islamo-conservateur turc de s'affirmer comme un pouvoir d'influence dans une zone où ses ancêtres ottomans ont longtemps régné, renouant avec l'Iran et la Syrie notamment, après des années d'animosité. Et l'intérêt pour cette région coïncide avec une frustration croissante d'Ankara face à l'opposition de membres importants de l'Union européenne à une adhésion turque. La sympathie affichée, notamment par M.Erdogan à l'égard des présidents d'Iran, sur le nucléaire, ou du Soudan, en a étonné plus d'un en Occident. «Aucun musulman ne pourrait commettre un génocide», a-t-il déclaré à propos du Soudanais Omar el-Bechir, qui est inculpé de crimes de guerre au Darfour. Mais la Turquie affirme qu'elle ne fait que maintenir le cap, et que sa politique de main tendue au Proche-orient ne peut qu'accroître son importance stratégique aux yeux des Européens. Et elle récuse toute inclination exclusive vers les pays musulmans, rappelant qu'elle a engagé un processus de réconciliation avec l'Arménie. «La Turquie étend sa diplomatie, mais ne change pas d'axe», commentait récemment Sedat Laciner, du think-tank USAK. «Peut-être devrait-elle améliorer ses relations avec des ´´pays plus acceptables´´...Mais ses voisins sont la Syrie et l'Iran, pas la France ni l'Allemagne», ironisait-il. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, architecte de la stratégie du «zéro problème» avec les voisins de la Turquie, déteste l'étiquette de diplomate «néo-ottoman» que lui collent certains. La Turquie, dit-il, n'a pas de visées dominatrices, elle recherche la confiance mutuelle, la promotion des échanges, et contribue à stabiliser une zone déchirée par les conflits. Et les chiffres sont là: la part des exportations turques vers les pays musulmans est passée de 24% du total, à 28%, de 2006 à 2008. Et Ankara a signé des accords de suppression des visas avec ces pays. La Turquie a joué les médiateurs dans les différends qui opposaient Damas à l'Irak et à l'Arabie Saoudite, elle a assisté l'Occident dans le conflit avec Téhéran, et organisé des négociations indirectes entre Israël et la Syrie. Mais l'offensive israélienne sur Ghaza, l'hiver dernier, a sonné le glas de son rôle d'intermédiaire entre Syrie et Israël, et a jeté un froid sur l'alliance israélo-turque. En octobre, Ankara a exclu brutalement l'aviation israélienne de manoeuvres en Turquie. Et M.Erdogan a minimisé une éventuelle menace nucléaire iranienne, pointant du doigt Israël, seul pays de la région à posséder, selon les experts, un arsenal nucléaire. Cette rhétorique a donné des arguments à ceux qui affirment que la fidélité à la cause musulmane définit la vision de M.Erdogan et celle de son parti, l‘AKP, fondé sur les cendres d'un parti islamiste. «L'éloignement de l'Occident est le plus important changement dans la politique étrangère turque depuis la Guerre froide», assurait Soner Cagaptay, du Washington Institute, dans un récent article. «Que l'AKP ait de l'empathie pour les musulmans, quoi de plus normal, mais on a l'impression qu'il s'aligne sur des régimes islamistes ostensiblement anti-occidentaux», ajoutait-il.