Très exigeant avec lui-même, Ali Tounsi l'était également à l'égard de l'ensemble du personnel de la Dgsn. C'est un grand commis de l'Etat qui vient de nous quitter, tombé jeudi matin sous les balles d'un officier supérieur de la Dgsn, pris soudain d'une crise de démence, avant qu'il ne retourne son arme contre lui. Cet officier était, semble-t-il, passible de sanctions disciplinaires dont il contestait avec vigueur le bien-fondé. Désigné à la tête de la Dgsn, en mars 1995, par le président Liamine Zeroual, alors impressionné par les états de service de cet ancien colonel de la Sécurité militaire (auquel le président Boumediène avait confié des missions de haute sécurité dans les années 1970, à l'instar du colonel Zerhouni), Ali Tounsi n'a eu de cesse, 15 ans durant, d'oeuvrer avec une compétence impressionnante et une obstination de Sisyphe à la modernisation de la Police nationale et son rapprochement du citoyen. Tous ceux qui ont eu le privilège de travailler avec cet homme d'exception soit comme patron de la Dgsn, soit comme expert indépendant (ce fut mon cas en 1997 sous la houlette du Dr Abderrahmane Mebtoul dans le domaine des ressources humaines), ne tarissaient pas d'éloges à son égard: grande capacité de travail, intelligence de surdoué, immense ouverture d'esprit. L'ancien ambassadeur des Etats-Unis à Alger, Ronald Newmann (1994-1997), avait un jour confié à un de ses hôtes, alors qu'il quittait son poste à Alger, son regret profond de n'avoir jamais pu rencontrer le colonel Tounsi. C'est dire l'envergure du personnage et la réputation de compétence qui le précédait. Sous des dehors austères et même rigides, le colonel Ali Tounsi était doté de grandes qualités humaines, proche de ses hommes et toujours à l'écoute de leurs doléances. Très exigeant à l'égard de lui-même (il pouvait travailler 18 heures d'affilée), Ali Tounsi l'était également à l'égard de l'ensemble du personnel de la Dgsn. Il aimait le travail bien fait et n'hésitait pas à sanctionner, au besoin sévèrement, les erreurs de ses collaborateurs, mais toujours dans un esprit d'équité, de justice et finalement de pardon. Si aujourd'hui la police algérienne est une des plus efficaces du monde, elle le doit en grande partie au travail d'Ali Tounsi. Si la police algérienne est devenue si proche du citoyen, ces dernières années, c'est largement au sens hors du commun de la stratégie et de l'organisation du colonel Tounsi que ce résultat a pu être atteint. La qualité de l'accueil du citoyen dans les commissariats de police, la diligence et la disponibilité des agents de l'ordre public à l'endroit de la population, la disparition totale de traitements humiliants et dégradants infligés aux prévenus en garde à vue (ce dont pourraient s'inspirer bien des Etats réputés de droit dans le monde), tout cela est dû à l'obstination pédagogique du colonel Tounsi, assisté, il est vrai de collaborateurs de très haut niveau dont l'expertise est de réputation mondiale puisque sollicitée en permanence à l'étranger, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le trafic de stupéfiants. Aujourd'hui, les ports et les aéroports algériens sont les plus sûrs du monde, la lutte contre la criminalité organisée et le grand banditisme a fait des pas de géant grâce au développement de la police scientifique qui a elle seule, a pu élucider 70% des affaires criminelles en un temps record. Quant à l'effort de formation entrepris, il n'a aucun équivalent dans les pays comparables, comme en témoigne, entre autres signes, la stature atteinte pas l'Ecole de police de Aïn Benian qui forme les plus fins limiers de tout le Bassin méditerranéen, cependant que tous les officiers de police algériens possèdent au minimum un niveau de Bac+7, ont la maîtrise d'au moins trois langues, sans compter les doctorants, les docteurs d'Etat et les chercheurs de haut niveau. Avec une Académie de police, 14 écoles supérieures et 35 centres de formation où l'enseignement des droits de l'homme constitue le module de base, l'Algérie est à l'avant-garde de tous les pays méditerranéens. Le recrutement comme la promotion s'effectuent exclusivement au mérite et toute tentative de népotisme est étouffée dans l'oeuf. La Dgsn est certainement aujourd'hui, en Algérie, l'institution où la méritocratie républicaine s'applique avec le moins de restriction et combien le colonel Tounsi a-t-il dû payer de sa personne pour parvenir à ce résultat qui honore la Police nationale. Il en résulte que d'un point de vue sécuritaire, l'Algérie ne peut en aucune manière être considérée comme un pays à risque et toute inscription de l'Algérie sur quelque black-list que ce soit, constitue un véritable déni aux gigantesques efforts entrepris par la Dgsn pour mettre à niveau ses hommes et ses équipements dans le cadre d'une stratégie de prévention des risques dont l'élaboration doit beaucoup au savoir-faire du colonel Tounsi et de ses collaborateurs (femmes et hommes). Pas un seul Algérien, au moins depuis l'arrivée d'Ali Tounsi à la tête de la Dgsn, n'a commis un seul acte terroriste en dehors de nos frontières, cependant que des centaines de policiers continuent de payer de leur vie ou de leur intégrité physique la lutte implacable engagée contre le terrorisme et le crime organisé. Le but de Ali Tounsi était de mettre en place, de façon irréversible, une police algérienne républicaine et citoyenne, c'est-à-dire protectrice de la sécurité des biens et des personnes, en phase avec la population algérienne dont elle est elle-même issue, poursuivant le crime, permettant à tous les Algériens de se déplacer librement à travers le territoire national et l'étranger et d'exercer leurs occupations dans la sérénité et la confiance. Tous ces objectifs ont été atteints et grâce doit en être rendue à Ali Tounsi. Sa disparition dans des conditions dramatiques est une véritable tragédie, non seulement pour sa famille à laquelle nous présentons nos condoléances les plus attristées et pour la Police nationale, mais aussi pour l'ensemble du pays. Il reste à espérer que son successeur maintiendra le cap. Que Dieu Le Tout-Puissant ait son âme et l'accueille en Son Vaste Paradis. Par ton labeur, ton courage, ton esprit de sacrifice, tu rejoins la place réservée aux grands martyrs du devoir national. Adieu, Si El Ghouti. L'Algérie est fière de toi et n'oubliera jamais ton oeuvre.