La guerre d'Algérie a été une tragédie subie par le peuple, mais c'est aussi une leçon d'héroïsme à enseigner aux jeunes algériens qui doivent savoir. Comment parler de la colonisation française en Algérie (1830-1962) et des années de braise (1954-1962) en refoulant le soupir de nos souffrances morales et physiques, c'est-à-dire en cachant nos blessures et en taisant notre douleur? Passons, passons, puisque tout passe, aurait dit le poète heureux sous l'empire de ses «Alcools». Or nos pensées sont claires; il n'est pas de sourire au passé quand la chair est marquée à jamais. Les souvenirs de maquis pendant la guerre de libération sont comme un livre «bien-aimé», même si l'âme se tourmente. Oui, il est des images que l'on croyait depuis longtemps oubliées, réapparaissent tel un message urgent à transmettre à nos enfants. C'est l'effet que produit sur moi le témoignage de Mahmoud Mostefaoui, intitulé Afin que nul n'oublie, la bataille de Maison-Carrée (*), et abondamment éclairé de photos. L'auteur - auquel Idir Azibi a prêté sa plume en recueillant et rédigeant le témoignage -, prévient avec raison d'abord ceci: «Il est bon, nous semble-t-il, qu'ils [Les jeunes d'aujourd'hui] sachent qu'un jour, un certain 1er novembre 1954, des jeunes, à peine sortis de l'adolescence, sans armes et sans expérience, ont osé relever l'incroyable défi: celui d'affronter presque à mains nues l'une des armées les plus aguerries au monde et qui bénéficiait de surcroît de la logistique de l'O.T.A.N...On ne peut pas comprendre une telle audace si l'on ignore ce qu'est une domination coloniale: le peuple algérien s'est retrouvé à partir de 1830, paria sur son propre sol; esclave non pas dans une terre étrangère mais sur la terre de ses ancêtres, sur son propre pays, plusieurs fois millénaire...Durant 132 ans, l'Algérie, notre beau pays sera la terre de servitude de ses propres enfants! Cela dit, nous sommes sereins et apaisés; nous n'éprouvons aucune haine pour le peuple français, mais nous précisons seulement que si nous pouvons pardonner, nous n'avons pas néanmoins le droit d'oublier, jamais!» Le souci de Mahmoud Mostefaoui est de raconter, en toute simplicité intellectuelle et avec la sincérité et la foi du fidaï qu'il fut, son itinéraire de combattant de la cause nationale, et plus encore l'apport des enfants de Maison-Carrée - en fait, El Harrach de toujours - à la lutte de libération. Jeune autrefois, chef de groupe et maquisard, il s'adresse aux jeunes d'aujourd'hui. Le combat était pour la patrie, sans aucune recherche de gloire. Constatant, tout comme ses nombreux frères de combats, l'ignorance de la jeunesse algérienne des faits réels qui se sont produits pendant la guerre d'Algérie, il a éprouvé le besoin légitime d'expliquer, en militant nationaliste, comment il est entré dans la bataille de Maison-Carrée con-tre le système colonial français et son armée d'occupation. Le récit est hautement pédagogique et au mieux des signifiants pour rendre à l'expression du narrateur son authenticité. De ce point de vue Idir Aziri aura fait un usage satisfaisant de sa plume, car il s'agissait de reproduire avec originalité et humilité un témoignage dont l'armature essentielle réside dans l'enseignement moral et civique de la participation volontaire des jeunes à la lutte pour le recouvrement de la souveraineté de notre patrie. Il ne s'agissait pas seulement de combattre une certaine population étrangère occupante et pleine de gloriole et de mépris, mais de décrire les méfaits criminels d'une armée étrangère occupante sous la bannière d'un système appelé colonialisme, réunissant tous les vices d'un esprit régnant par l'esclavagisme, l'apartheid, la haine et l'irrespect total de la personne humaine. L'ouvrage s'ouvre sur un constat rapide mais efficace de la vie d'un jeune algérien né en 1937 à Dellys et qui, à l'âge de huit ans, «doit suivre ses parents venus s'établir à Alger au quartier PLM de Maison-Carrée (El Harrach)». L'enfant découvre les injustices, les misères, les différences, l'habitat précaire, les bidonvilles,...La prise de conscience devient de plus en plus épaisse, dense, audacieuse. Puis c'est l'apprentissage de la «résistance» qui est «d'abord la culture du secret!». Puis c'est le «service militaire ou...service commandé»: voilà une aubaine pour servir la Révolution. «Vous devez infiltrer l'ennemi, disait Mohamed Bidi. En un mot, vous serez les espions de l'ALN au sein des troupes ennemies.» Bientôt, Mahmoud est aux côtés des combattants hommes et femmes, à l'image de ceux ou de celles qu'il cite, les vivants et les martyrs. Il est particulièrement avec tous ceux qui ont mené des opérations de guérilla dans les quartiers d'El Harrach et dans les zones urbaines de la capitale. Ensuite, c'est l'appel du maquis, il y va dans les rangs des djounoud de la Wilaya 4, Zone 1, combattre l'ennemi d'octobre 1961 à août 1962. Le livre fourmille de détails et de réflexions salvatrices. Les événements ne sont donc pas imaginaires ou reconstruits pour exalter un égo. Les faits sont exposés avec une telle précision que l'historien n'aura qu'à mettre en oeuvre sa compétence pour les faire entrer dans l'Histoire de la Guerre d'Algérie d'où est sorti vainqueur le peuple algérien. S'il devait exister un guide de vie dans nos écoles, je pense que le livre de Mahmoud Mostefaoui servira beaucoup pour être, en compagnie d'autres travaux similaires, un prétexte judicieux pouvant servir à élaborer une des substances d'un guide scolaire d'éducation morale et civique, du moins dans sa partie «formation de la conscience du jeune algérien» pour apprendre à bien penser, pour avoir un noble idéal, pour garder toujours sa dignité d'homme. (*) Afin que nul n'oublie, La bataille de Maison-Carrée de Mahmoud Mostefaoui, Chihab Editions, Alger, 2009, 172 pages.