Sentant le vent tourner, la France tente de changer son fusil d'épaule. Après avoir fait le forcing sur Bamako pour faire libérer le 23 février dernier Pierre Camatte, détenu trois mois durant par la branche armée de Al Qaîda au Maghreb islamique, défiant ainsi les conventions internationales, et après avoir poussé les autorités maliennes à céder au chantage des terroristes, ce à quoi l'Algérie et la majeure partie des Occidentaux s'y sont toujours opposés, après avoir classé l'Algérie sur la liste des pays à risque, la France de Bernard Kouchner fait dans le paradoxe. En effet, elle se félicite de la convocation aujourd'hui d'une conférence régionale à Alger sur la lutte contre le terrorisme dans la zone sahélo-sahélienne. Pour rappel, les chefs de la diplomatie de l'Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad feront demain une évaluation de la situation dans la région, en particulier sous l'angle de la recrudescence des actes terroristes et de la menace que représentent ce fléau et ses connexions avec le crime transnational organisé et les trafics de tout genre, sur la paix, la sécurité et la stabilité de la région. Cette conférence permettra également aux pays participants d'examiner et arrêter les mesures, au plan bilatéral et régional, pour éradiquer ce fléau ainsi que les voies et moyens de la relance du développement économique au profit des populations de cette région. A ce sujet, la France espère une plus étroite collaboration entre les pays concernés, a indiqué hier le ministère français des Affaires étrangères. Face à la recrudescence des activités des groupes islamistes se réclamant d'Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi), le souhait de la France est qu'elle «renforce la coordination régionale, cruciale en matière de lutte contre le terrorisme», a déclaré, lors d'un point de presse, le porte-parole du Quai d'Orsay, Bernard Valero. Pourtant, Bernard Kouchner n'avait pas hésité à exercer une énorme pression sur Bamako afin que Pierre Camatte ait la vie sauve, même si c'est au prix d'un pacte avec le diable. «Je ne serai pas discret sur la façon dont le Mali est responsable. Il a l'obligation d'assurer la sécurité des ressortissants étrangers sur son sol», avait-il déclaré. Maintenant que l'otage, espion de la Dgse (?), est libre, et que ses intérêts apparaissent comme menacés, Paris tente de changer son fusil d'épaule. «Nous nous réjouissons de l'initiative prise par les autorités algériennes d'accueillir sur leur sol cette enceinte de concertation entre les Etats de la région», a ajouté Bernard Valero. Mais de quel progrès parle Paris lorsque ces mêmes terroristes ont bénéficié d'une bonne rançon à même de leur permettre de renflouer leurs caisses pour l'armement? Est-ce cette image pestilentielle que la France tente d'effacer ou bien s'efforce-t-elle de sauvegarder ses propres intérêts? Une certitude: la réunion d'aujourd'hui à Alger entre les ministres des Affaires étrangères des pays sahélo-sahariens sonne comme un rappel à l'ordre d'une situation au bord de l'explosion. En effet, si l'Algérie a prouvé qu'elle a les capacités matérielles et humaines pour faire face à la menace terroriste, au banditisme et autres trafics de drogue et de cigarettes, il n'en est pas de même pour les autres pays de la région. Dépourvus de moyens, ces pays ne peuvent qu'en subir les effets. Dans le cas où ils n'arriveront pas à juguler la menace, ces Etats seront souvent obligés de s'incliner devant les injonctions - et elles sont très nombreuses- qui viennent de l'extérieur, notamment de la France qui cherche à étendre sa zone d'influence. Si la France compte sur ses messages de soutien pour apaiser la tension, ses relations avec Alger restent délicates.