Chaque fois que le commandement d'une organisation armée est neutralisé, les éléments la composant versent dans l'«essaimage». La poussée de l'armée a grignoté les derniers sanctuaires terroristes, les contraignant à trouver refuge ailleurs. Les ratissages, les bouclages des zones et les bombardements ciblés que privilégie le commandement militaire ont, dans une large mesure, réduit à la portion congrue les vastes fiefs de Mizrana, Takhoukht, Sidi Ali Bounab, Haïzer, Chelaâlaâ, Djebel Boukhil, l'Ouarsenis, le massif blidéen et tous les anciens sanctuaires inexpugnables de groupes armés. En chiffres, cela s'est traduit par la neutralisation, depuis le début de l'été de près de 100 éléments armés et l'arrestation de quelque 150 «relais», appartenant, dans la majorité des cas, au réseau de soutien, d'assistance, de financement ou de collecte de l'information. Cela se traduit, à court terme, par un semblant d'accalmie. Mais attention, ce genre de situations risque de poser de nouveaux problèmes, liés au terrorisme. Car, chaque fois que le commandement d'une organisation armée est neutralisé, les éléments la composant versent dans l'«essaimage», c'est-à-dire dans de petites entités autonomes qui traversent les espaces, semant la mort sur leur passage. Un haut responsable militaire chargé de la lutte antiterroriste affirme: «L'atomisation des groupes armés peut, à moyen terme, multiplier le risque de terrorisme, en ce sens qu'elle permet une atténuation de la violence, certes, mais en l'étalant dans le temps.» Il ajoute: «Une organisation de soixante personnes, à commandement unique, peut se métamorphoser en six ou huit groupes réduits en nombre, d'entre cinq et dix, se déplaçant dans l'espace et tuant chemin faisant.» Il cite à ce propos l'organisation dite Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) de Abdelkader Saouane, dit Abou Thoumama. Celui-ci étant mort depuis plus de deux mois, ses effectifs, estimés à une cinquantaine de terroristes, se sont complètement atomisés en sous-groupes quasi autonomes. Si leur fief de prédilection était Derrag, il ne faut pas s'étonner de ce qu'ils portent la violence entre Médéa et Aïn Defla, en poussant vers Tipasa et les villes côtières. Selon un ancien du Gspd, aujourd'hui, et qui a été cité par une source du journal, à Médéa, «il n'y aurait dans le Gspd aucune figure assez imposante pour pouvoir remplacer Saouane ni aucune autorité pour maintenir l'organisation unifiée». En définitive, le procédé est le même chez toutes les organisations armées, issues du GIA originel. L'offensive militaire dans les monts de Haïzer a poussé plusieurs dizaines de terroristes vers les villes situées au sud, telles que M'sila, Bordj Khriss ou Sour El-Ghozlane. Le bouclage militaire à l'est de Bordj Khriss a confirmé l'exodus de certains terroristes vers le sud de Haïzer. En 1996, la désagrégation de katibate El-Ahoual a donné naissance à une multitude de sous-groupes, dont les plus imposants ont été Houmât es-daâwa esalafiya (Ghds), puis récemment la Djamaâ es-salafiya el-mouqatila (GSC), ainsi que des groupes aux contours encore mal définis, et dont les actions allient le théologique, le politique, le grand banditisme, la criminalité et le brigandage, sans qu'une stratégie cohérente soit dégagée de leur violence nihiliste et invisible. L'essaimage des groupes armés est d'autant plus dangereux qu'il trouve aujourd'hui dans les élections locales un «prétexte traditionnel» pour se faire une autre audience, après ses dernières déconvenues. Les nouvelles recrues des GIA auront aussi à démontrer leur savoir-faire en matière de violence. C'est à cause de tout ce patchwork théologico-criminel qui fait qu'on fait encore la moue lorsqu'on nous parle de la fin du terrorisme.