L'Union européenne commence à se doter de son propre service diplomatique, une structure inédite dans son histoire qui est chargée de mieux représenter les 27 dans le monde, mais qui donne lieu à une rude bataille en coulisses pour ses compétences et ses meilleurs postes. La dirigeante de la diplomatie de l'UE Catherine Ashton a présenté jeudi un projet de «Service européen d'action extérieure» (Seae), un organe autonome qui comprendra à terme des milliers de fonctionnaires. Il fusionnera des compétences jusqu'ici réparties entre les Etats et la Commission. Objectif: plus de cohérence, tant en matière d'affaires étrangères que de sécurité ou d'aide au développement, à Bruxelles et dans les quelque 137 délégations de l'UE à l'étranger. Il pourra même remplir des fonctions consulaires. Lady Ashton a choisi d'être secondée par un secrétaire général fort, contre l'avis des eurodéputés qui y voient, à l'instar du conservateur allemand Elmar Brok, le risque d'un fonctionnaire surpuissant «tapi comme une araignée sur sa toile» à la tête du service. Plusieurs grands pays ont des visées sur le poste. Les noms de l'ambassadeur de France à Washington Pierre Vimont ou du secrétaire général du Quai d'Orsay Pierre Sellal circulent, mais aussi celui de l'Irlandais David O'Sullivan, directeur général au commerce à la Commission, qui aurait l'appui de Mme Ashton. Et Rome verrait bien un Italien parmi les deux adjoints. Mme Ashton «reçoit presque quotidiennement des listes de noms», ironise son entourage. Pressée, notamment par les pays d'Europe de l'Est, de respecter les équilibres géographiques dans le recrutement, elle a aussi dû trouver un compromis avec la Commission. L'exécutif européen avait jusqu'ici la gestion exclusive d'un aspect-clé de la politique étrangère de l'UE: ses instruments financiers en matière de coopération, de développement, et de politique de voisinage. Pour l'utilisation de ces fonds dotés de dizaines de milliards d'euros et grâce auxquels l'UE peut peser dans le monde -elle est ainsi le premier bailleur de fonds des Palestiniens-, le Seae préparera les décisions stratégiques. Mais il agira, notamment en matière d'aide au développement, «sous la supervision et la conduite» du commissaire concerné et toutes les décisions seront soumises pour approbation à la Commission. Les négociations pourraient encore durer. Le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle, dont le pays voit d'un mauvais oeil le trop grand rôle de la Commission, juge qu'il y a encore «matière à négocier». Et dans des termes inhabituellement durs, le président du Parlement européen Jerzy Buzek a «regretté» que des éléments «cruciaux» n'aient pas été pris en compte, ajoutant: «Notre position est constructive et devrait être respectée». Conservateurs, socialistes, libéraux et écologistes ont d'ailleurs jugé «inacceptable» la proposition dans un communiqué commun. La baronne britannique qui a pris ses fonctions le 1er décembre a pourtant rapidement besoin d'être soutenue par un vrai appareil, souligne un diplomate européen. Son manque d'expérience, ses déclarations trop prudentes et plusieurs faux-pas lui ont valu des débuts difficiles. En cause sa gestion du séisme en Haïti, ou son peu d'intérêt apparent pour la défense européenne, au point que certains diplomates se demandent si elle tiendra cinq ans en poste. Cette semaine, Mme Ashton a reconnu les difficultés. «C'est un travail impossible, mais je suis toujours là et je le fais» a-t-elle ironisé. Elle a néanmoins déjà commencé à procéder à d'importants remaniements dans son entourage, étoffant son cabinet de diplomates expérimentés. Son porte-parole, Lutz Güllner, est aussi sur le départ.