Etant présent au Séminaire national d'information et de sensibilisation sur les précurseurs chimiques de drogues qui s'est tenu hier et avant-hier à l'hôtel El Aurassi, à Alger, le secrétaire exécutif du groupe Pompidou, Patrick Penninckx, a bien voulu répondre aux questions de L'Expression. Expert dans le domaine de la lutte contre la drogue, M.Penninckx estime que tous les Etats avec leurs différentes institutions doivent s'impliquer dans la lutte contre le crime organisé. L'Expression: Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs quels sont les précurseurs chimiques de drogues? Patrick Penninckx: Les précurseurs chimiques de drogues sont, en fait, des substances qui sont répertoriées comme étant des produits légaux et utilisés à des fins illégales dans, notamment, la production illicite de substances de drogue par les narcotrafiquants. Pourquoi la communauté internationale est préoccupée par la lutte contre d'autres drogues telles la cocaïne, l'héroïne et le cannabis, alors que les précurseurs chimiques de drogues sont plus dangereux? Moi, je ne qualifie pas certaines drogues de plus dangereuses que d'autres. Les précurseurs sont une notion très complexe. Ce sont des produits qui peuvent être utilisés à des fins très diverses. Ils sont, en même temps, des substances qui peuvent être utilisées à des fins très légales. Le danger se situe dans le fait qu'il peut y avoir une déviation dans l'usage de ces substances. Pour votre question, j'affirme que la communauté internationale focalise dans sa lutte beaucoup plus contre le Cannabis, l'héroïne et la cocaïne que contre ces précurseurs. Cela s'explique par le fait que le Cannabis, l'héroïne et la cocaïne sont les plus répandus de par le monde. Ils sont les plus consommés. Mais, les précurseurs sont, aussi, utilisés dans la fabrication de psychotropes. Quels sont les mécanismes de contrôle auxquels sont soumis ces précurseurs? Il existe au niveau des Nations unies des listes des précurseurs chimiques. On discute cette liste d'une façon régulière pour sa mise à jour. Ceci dit, chaque pays est libre de décider d'aller le plus loin possible dans son mode de contrôle et de lutte. Je cite l'exemple de l'Union européenne où il y a des transmissions de données volontaires qui vont plus loin que ce qui a été décidé sur le plan international. Mais, il est très important de s'insérer sur le plan national dans cette logique de contrôle international. Quel est le rôle que l'Algérie est appelée à jouer dans la lutte contre la drogue au niveau du Bassin méditerranéen? L'Algérie a un rôle fondamental. C'est pour cette raison que depuis 2006, elle a intégré le réseau méditerranéen du groupe Pompidou de lutte contre la drogue et la toxicomanie. L'Algérie s'est insérée dans une coopération très étroite avec le groupe Pompidou. Cela ce n'est pas seulement dans le cadre de la lutte contre la drogue, mais aussi dans le cadre de l'application de la loi dans les questions de traitement, dans la collection de données. Ce sont autant d'éléments qui forment la base de toute politique et stratégie nationales. C'est pour cette raison que je dis que l'Algérie est un partenaire primordial dans cette lutte. Pour nous, l'échange d'informations et d'expériences avec l'Algérie est très important. Il ne s'agit pas d'une voie unilatérale, mais de la réciprocité d'échange d'informations et d'expertise. Sur le plan international, l'Algérie a beaucoup contribué dans la mise en place de structures nationales. Je dirai même que la contribution de l'Algérie peut être exemplaire pour beaucoup de pays, y compris les pays européens. Où en est-on dans la création d'un observatoire méditerranéen de lutte contre la drogue? Nous avons organisé, au sein du groupe Pompidou, en décembre dernier, une conférence de haut niveau avec les pays des deux rives qui sont membres de ce réseau. Lors de cette conférence, la France a lancé l'idée de la création d'un observatoire méditerranéen de lutte contre la drogue à l'instar de celui qui existe au niveau de l'Union européenne. La première étape sera la collecte d'informations sur le plan national. Chaque pays peut contribuer à sa façon et nous échangerons par la suite nos expertises pour faire des comparaisons. Pour l'année en cours, nous avons prévu une série de séminaires sur les différents indicateurs qui peuvent être coordonnés. L'observatoire aura pour mission, entre autres, de donner à chaque pays les éléments nécessaires pour le développement d'une politique nationale et communiquer des données qui peuvent être comparées sur le plan régional et international. Peut-on savoir dans quel pays sera implanté cet observatoire? Il est prématuré de répondre à votre question. Il faut savoir que les autres pays ne sont pas au même stade de développement comme l'Algérie qui a déjà un Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie qui coordonne les différentes activités des différents ministères, dans la lutte contre la drogue bien entendu. Existe-t-il des réseaux communs des narcotrafiquants qui activent dans les deux rives de la Méditer-ranée? Le phénomène est de plus en plus répandu en Méditerranée. Nous savons bien que votre voisin de l'Ouest, est le premier producteur de cannabis dans le monde. Donc, il ne s'agit pas seulement de trouver les moyens d'éradiquer la production dans ce pays, mais plutôt de voir dans quelle mesure le fléau peut être restreint. Les narcotrafiquants changent d'itinéraires. Ils ne pensent pas seulement à transporter leur marchandises vers l'Europe, mais aussi les quantités destinées à la consommation locale et régionale. Les narcotrafiquants sont en connexion avec les groupes armés. Ne pensez-vous pas que la coopération doit être élargie aux Etats et non seulement entre organisations? Il est clairement indiqué qu'il s'agit d'une interférence avec le crime organisé. Qu'il s'agisse des trafiquants de drogue et d'armes, des terroristes, du blanchiment d'argent, de trafic des êtres humains et de l'esclavage moderne. Je ne parle pas seulement des jeunes Africains qui souhaitent pénétrer en Europe, mais aussi du trafic qui existe même au Vieux Continent. Il y a un vrai problème avec certains pays d'Europe comme l'Ukraine et l'Albanie qui sont des pays fortement touchés par le trafic des êtres humains. Donc, il est clair que le problème n'est pas entre l'Afrique et l'Europe, mais à l'intérieur de l'Europe même. Pour les groupes armés, je dirai que toutes les capitales sont concernées par la menace terroriste. La base du financement d'une partie importante des actions des terroristes est liée au trafic de drogue. Généralement, le crime organisé n'a pas de frontières. Nos Etats, malheureusement, versent trop dans les réflexions nationales, alors que le crime organisé n'a pas de réflexe national. Il faut absolument que les Etats s'impliquent et travaillent tous ensemble et impliquent tous les services concernés, tels les services de sécurité, les ministères de l'Intérieur, des Industries, de la Justice, de la Santé... etc. C'est ainsi que j'ai souligné que le rôle de l'Algérie devient de plus en plus important, au vu, également, de son expérience en matière de lutte antiterroriste et contre le crime organisé. C'est, aussi, l'objectif de ma visite en Algérie afin de renforcer les contacts avec les responsables algériens. J'ai, d'ailleurs, plusieurs rendez-vous importants au niveau des ministères de la Justice, des Affaires étrangères et de la Santé. C'est une occasion pour moi, d'alerter en quelque sorte, les autorités algériennes du rôle que peut jouer l'Algérie dans ce domaine.