C'est en noir et blanc que Bruno Hadjih, préfère raconter ses chroniques d'une Algérie venant à peine de sortir d'une décennie de terreur. C'est aussi en noir et blanc qu'il préfère relater la mutation de cette société algérienne dans A l'ombre chaude algérienne, son exposition qui se tient au Centre culturel français d'Alger jusqu'au 30 avril. Au cours d'un entretien, ce photographe franco-algérien nous expliquera les raisons de sa passion pour certains sujets et nous parlera, par la même occasion, des projets qu'il compte réaliser. L'Expression: Vous avez fait des études en sociologie et plus précisément en anthropologie et sciences des religions, comment êtes-vous arrivé à la photographie? Bruno Hadjih: Au cours de mes études, on m'avait demandé de préparer un exposé sur les cités de transit. Quand on est en sociologie, on est un peu subversif, donc j'ai proposé au professeur de présenter le topo différemment. C'est-à-dire en exposant des images et en les commentant. Au lieu de faire un exposé, je voulais mettre au point une mini-exposition dans un amphithéâtre à la faculté. Et j'avais eu la meilleure note. C'est ainsi que j'ai eu le déclic. Vous privilégiez, souvent, les reportages sur des phénomènes d'ordre religieux... Je crois qu'il y aurait eu moins de guerres, s'il n'y avait pas de religion. D'ailleurs, celle-ci, et c'est là mon point de vue, est à l'origine de nombreux conflits dans le monde. J'ai abordé le phénomène religieux sous la forme du soufisme d'abord. Et puis, j'avais découvert le sujet d'Isabelle Eberhardt et dès lors, je suis parti sur ses traces. C'est ainsi que j'ai pu, par exemple, entendre le mot zaouïa... Cela avait attiré mon attention et, de fil en aiguille, j'ai travaillé sur les différents courants dans la religion musulmane, que ce soit en Chine, en Egypte, où j'ai effectué un reportage sur l'université El Azhar ou encore au Maroc. La religion est un thème qui m'intéresse énormément. C'est ce qui détermine l'homme. Le musulman est déterminé par sa religion. Et si on veut comprendre son évolution, sa révolte ou encore ses revendications, on ne peut ignorer l'historique de cette religion, c'est impossible! La photographie serait-elle pour vous un moyen plus simple pour aborder ce genre de questions...peut-être moins compliqué qu'une recherche scientifique? Non, ce n'est pas aussi simple! D'ailleurs, je ne suis ni un scientifique ni même un sociologue. Le fait d'avoir effectué des études en sociologie ne fait pas de vous un sociologue. La sociologie, on l'acquiert au quotidien. Concernant mes reportages sur le soufisme, il m'a fallu des années avant de me mettre dans le cercle et parler à ces gens. Pendant au moins dix ans, je ne voyais que les épaules de ces gens-là, ce n'est pas aussi simple que vous croyez. La religion demeure un sujet des plus sensibles, avez-vous rencontré des difficultés lors de vos reportages en Asie ou en Afrique? Comme dans le journalisme, vous en savez certainement quelque chose, il y a toujours des difficultés. Mais il faut ruser. Au Pakistan, par exemple, dans un sanctuaire chiite, j'ai rencontré un petit problème à cause de mon prénom. En fait, j'en ai deux, l'autre c'est Amar, ils l'ont compris Omar. C'était peut-être dû à leur histoire avec Omar Ibn Khetab. A vrai dire, c'était l'unique fois où il y avait un semblant de problème...qui s'est résolu dans la minute qui a suivi. Donc il y avait des difficultés, mais elles n'étaient pas nombreuses. Les gens arrivent à ressentir la sincérité de votre démarche. Dans A l'ombre chaude algérienne, vous abordez l'Algérie après des années de terreur, des années de sang. Vous en savez quelque chose, puisque vous avez travaillé ici en tant que reporter, parlez-nous de ce projet? J'ai commencé ce projet en 1999. Il y a des images qui ont été faites en 2004. En tant que reporter, j'ai travaillé en Algérie pendant ces années-là, j'ai fait des reportages sur les maquis. Je suis revenu après, et j'ai trouvé que les gens avaient changé. La guerre avait changé les habitudes des uns et des autres. J'ai trouvé que les jeunes étaient plus revendicatifs. Les femmes plus téméraires que d'habitude. Elles commençaient à descendre dans la rue, à revendiquer, à manifester...Il y avait une société civile qui commençait à se manifester...A vouloir exister tout simplement. Au cours de ce reportage, je suis tombé sur des jeunes qui demandaient des comptes à leurs parents. Ces derniers sont, pour eux, la cause de ce qui s'est passé en Algérie, ils auraient dû demander plus de liberté et s'inscrire dans une démarche plus revendicative. Je trouvais cela très courageux. Il y avait une mutation de la société qui m'avait emballé. Ces jeunes étaient inscrits dans une espèce d'universalité d'ouverture. Je me suis investi dans le regard, dans l'écoute... Des projets en perspective? Je travaille depuis deux ans sur la notion d'urbanisation saharienne. Le désert est en train de muer et de muter. J'espère que ça finira sur une installation entre 25 et 30 kilomètres le long d'une piste entre Tamanrasset et l'Askrem, c'est un affichage avec du workshop pour apprendre aux gens à regarder et à respecter l'environnement. Je circule énormément à travers le pays, c'est un projet qui me tient à coeur. Je prépare également des livres tout en continuant à travailler avec Le Monde magazine, Le Monde diplomatique, le GEO...