«Je ne raconte pas d'histoire, c'est toujours le vide qui m'intéresse, comment raconter une histoire à partir de rien, c'est ma démarche...», confie l'artiste. On court tous derrière quelque chose, un être, un projet, un désir. On aspire, on espère et on rêve. Mais parfois l'envie est stoppée par on ne sait quel mystère. Nous sommes comme cloués au sol, ralentis dans notre élan, acculés dans une sorte d'inertie sans nom. Immobiles. On fait un pas en avant, puis on recule. Stress, marasme, et angoisse. L'énergie vitale s'accroit, le rythme prend une nouvelle tournure. On tourne en rond comme une aiguille d'une montre, à la recherche de sa route. Son chemin. Puis vient le geste. Balbutiement. Ebullition et enfin la délivrance. Foire des sentiments. Un trop-plein d'émotion. Qu'on soit plongés en nous-mêmes dans l'éternelle attente d'un vertige ou en contemplation devant un tableau, nous devenons des sentinelles, les sens en éveil, guettant les autres ou le changement. Distorsion du temps dans un espace qui se dilue ou se resserre sur nous-mêmes. L'attente, toujours l'attente. C'est ce que tend à traduire la pièce chorégraphique de la danseuse algérienne Nacéra Belaza, dans sa toute nouvelle création appelée Les Sentinelles (2010). En plus de sa fidèle soeur, Dalila, Nacéra a ajouté un danseur pour fixer davantage cette attente comme une réflexion machinale continue quasi obsessionnelle. «L'art, ce n'est pas la beauté. Pour moi, c'est d'être juste dans le tout (la lumière, le décor, la scène...).» Dans un décor dépouillé, les danseurs sont vêtus de leurs joggings habituels, une sorte de seconde peau grâce à laquelle ils ont répété des mois durant. Ce n'est pas une tenue de scène, mais qui le devient tout comme le vide qui entoure le spectacle et laisse entendre qu'il ne se passe rien, mais sous-tend la dramaturgie de la pièce chorégraphique. «Je ne raconte pas d'histoire, c'est toujours le vide qui m'intéresse, comment raconter une histoire à partir de rien, c'est ma démarche...», avoue l'artiste. Le spectacle laisse entendre, en ouverture, une musique d'abord en sourdine qui n'a de cesse de s'accroitre au sein de ce vide sidéral de la scène au milieu de laquelle est projeté un halo de lumière tremblotant. La multiplication du son (Nina Simone remixé) qui va crescendo, emplit la salle au fur et à mesure que le vide déstabilisant crée un sentiment de stress incommodant. Les silhouettes des trois danseurs apparaissent immobiles, comme paralysés et le resteront durant plusieurs minutes qui paraissent interminables. Les trois «sentinelles» avancent parfois le pas, parfois font machine arrière. Ils esquissent des gestes physiques désarticulés. «J'écris une pièce comme un poème en délivrant, non pas un seul, mais plusieurs messages», dit Nacéra Belaza, danseuse autodidacte, diplômée en lettres modernes. Ses influences? Etonnement éclectiques. «Mes influences, elles n'ont pas été particulièrement liées à l'univers de la danse, elles sont ailleurs étrangères à la matière que je traite, les autres arts sont pour moi autant de points de vue qui m'aident à définir et comprendre mon propre langage, celui du corps.» Le rôle de la musique est tout aussi crucial. Nacéra Belaza a choisi Nina Simone revu et remixé, et qu'elle accompagne dans chacune de ses pièces. «L'action principale est la musique, ce qu'elle trimbale, doit raisonner en nous. Le corps doit être une caisse de résonance.» Pour Nacéra Belaza en effet, ce n'est pas ce que l'oeil voit, mais ce qu'il laisse comme trace qui s'anime..En gros, ce qu'elle veut exprimer est le passage de notre énergie intérieure vers l'extérieur, vers le monde et cette attente infinie qui nous habite, d'où cette lenteur qui peut s'accélérer, pour enfin redevenir calme et tempérée. «Un vide inattendu qui comble toutes nos attentes, voila ce qui pourrait être finalement mon propos, ce que j'ai poursuivi à travers toutes mes pièces, sculpter ce vide, lui donner corps, le rendre palpable, le partager et enfin le laisser se dissoudre dans l'espace infini de nos corps...», confie la danseuse Nacéra Belaza qui fait de la «poétique du vide» sa belle et sombre démarche artistique. Une démarche qui peut intriguer et dérouter plus d'un. Ce fut le cas, mercredi dernier, à la salle Ibn Zeydoun, où elle a présenté sa pièce Les Sentinelles sur initiative de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel. Avec la compagnie, Nacéra Belaza, la danseuse s'est déjà produite en Algérie avec plusieurs de ses spectacles notamment Le Cri (2008), Paris, Alger (2003). Nacéra Belaza qui avait découvert de réels potentiels chez nos jeunes Algériens aspire à poursuivre son travail de formatrice et d'apporter son savoir-faire.Un voeu pieux à saluer. Outre la compagnie d'Abou Legraâ Sofiane, installée récemment à Alger, il n'existe en effet aucune compagnie professionnelle solide, contemporaine à même d'apporter du nouveau et rehausser le niveau de la danse en Algérie. L'apport de Nacéra Belaza sera, dans ce cas, des plus bénéfiques.