«Le capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme, c'est exactement le contraire.» Propos prêtés à Nikita Khrouchtchev (ancien premier secrétaire du Pcus) Cette boutade du premier secrétaire du Parti communiste soviétique de l'Union soviétique au temps de sa splendeur, résume toute l'ambiguïté de la stratégie des nouveaux pays émergents qui veulent prendre les règles du capitalisme et lui donner un visage humain. Leur «réussite» actuelle la doivent-ils au marché et au fait que comme tout pays qui se développe on doit passer par une phase ascensionnelle? Ou est-ce l'avènement d'un monde nouveau qui peut servir d'exemple aux autres pays en développement? Ainsi, leur coordination pour «contrer» les anciens pays industrialisés et leur doxa est pour nous un signe d'un changement qui, contrairement à la philosophie altermondialiste, repose sur du concret. Ainsi, on apprend qu'à Brasilia, le 15 avril, quatre pays continents et non des moindres, ont décidé de prendre en main leur destin et de ne plus être des wagons de la mondialisation. Leur déclaration qui, curieusement est passée sous silence dans les médias occidentaux, remet en cause fondamentalement la façon de faire d'avant héritée des accords de Bretton Woods. Le communiqué final est une sévère mise en garde. Nous lisons: «Les dirigeants des Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) ont conclu le 15 avril leur sommet à Brasilia, appelant à la réforme du système financier international, "nous appelons à la réforme de la répartition des votes à la BM pour qu'elle soit accomplie aux prochaines réunions de printemps"», ont déclaré les dirigeants dans un communiqué publié à l'issue du sommet d'un jour. Le Fonds monétaire international (FMI) et la BM doivent «résoudre leurs problèmes de déficits de légitimité», selon le communiqué. La réforme des structures de gouvernance de ces institutions nécessite un ajustement substantiel de leur système de répartition des votes en faveur des économies émergentes et des pays en développement, une modification nécessaire pour faire correspondre leur pouvoir décisionnel à leur poids dans l'économie mondiale, a ajouté le communiqué. Les Bric espèrent que la réforme des quotas du FMI sera conclue lors du sommet du G20 prévu en novembre prochain. Près de 3 milliards d'habitants Les quatre pays ont également souligné la nécessité de l'adoption d'une méthode de sélection ouverte et sans distinction de nationalité pour l'attribution de positions supérieures au sein du FMI et de la BM. Les Bric ont appelé les gouvernements mondiaux à boycotter le protectionnisme commercial sous quelque forme que ce soit. «Nous nous engageons et appelons tous les pays à boycotter toute forme de protectionnisme commercial et à lutter contre les restrictions déguisées contre le commerce.» Ils ont également souligné la nécessité de maintenir la stabilité des monnaies de réserve mondiales. «Nous soulignons l'importance du maintien de la stabilité relative des principales monnaies de réserve et de la durabilité des politiques financières afin de parvenir à une croissance économique forte et équilibrée à long terme», ont déclaré les dirigeants.(1) Qui sont ces pays qui osent défier l'Ordre impérial occidental? On les nomme «Bric»: un acronyme qui désigne le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. Ces 4 pays sont peuplés au total de 2,8 milliards d'habitants (respectivement 190 millions, 140 millions, 1,15 milliard et 1,3 milliard d'habitants) soit 40% de l'humanité environ. Ces pays ont une surface de 38,4 millions de km² (Brésil: 8,5, Chine: 9,6, Inde:3,2; Russie: 17). Le PIB/habitant demeure faible: 10.400 dollars au Brésil, 6500 dollars en Chine, 3000 dollars en Inde et 15.300 dollars en Russie, soit une moyenne de 5800 dollars, à comparer avec les Etats-Unis (45.000$). Ils représentent 15% du produit intérieur brut mondial, mais surtout 50% de la croissance économique actuelle. (...) Ainsi, le marché de la téléphonie mobile en Inde augmente tous les ans de 25 millions de consommateurs, soit autant qu'un marché comme l'Espagne...En Chine, tous les ans, autant de centrales électriques sont construites que la France en a construit...en 40 ans (l'équivalent d'un réacteur nucléaire tous les 5 jours). Rien d'étonnant à cela quand on sait que la Chine offre deux fois plus de perspectives de croissance que les Etats-Unis. La France croit moins vite que le Brésil, le Mexique et l'Inde. Le premier pays européen est au...9e rang, derrière les 4 Bric (2) Le monde économique actuel est dominé par les grandes puissances industrielles occidentales, ainsi que 3 pays non-occidentaux: le Japon, la Chine, et l'Inde. Ces deux derniers pays étant des cas particuliers car si les pays sont riches, la population est pauvre - Voici en 2009 les 15 principales puissances économiques mondiales, en milliards de dollars, parité pouvoir d'achat (source: FMI). Le PIB en milliards de dollars est le suivant: Etats-Unis: 14.033, Chine: 8511, Japon: 4123, Inde: 3469, Allemagne: 2773, Royaume-Uni: 2159, Russie: 2146, France: 2087, Brésil: 1974). En 2014, les 15 pays du top15 ne changeront pas. Mais la Chine (14.438) talonnera les Etats-Unis (16.927), l'Inde(5238) doublera le Japon (4907); La France (2422) sera doublée par le Brésil (2484). Mais ces pays croissent très vite: en 2020, leur PIB devrait plus que doubler et être aussi important que celui des Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada, Espagne réunis...Enfin, si l'on poursuite les mêmes projections, en 2020 si aucun nouveau pays ne fera son entrée dans le top15, le bouleversement sera énorme: les Etats-Unis (21.253) seront doublés par la Chine (27.223), La France(2896) sera rattrapée par le Mexique (2746), l'Indonésie(1829) aura doublé l'Espagne(1757) qui sera suivie juste derrière par la Turquie, l'Iran, l'Australie, la Pologne et l'Arabie Saoudite. Le PIB par habitant sera alors d'environ 16.000 dollars au Brésil, 27.000 en Russie, 7000 dollars en Inde, 20.000 dollars en Chine (moyenne: 14.300 dollars par habitant). La Chine sera alors la première puissance économique, probablement la principale puissance militaire et politique. Le Brésil aura dépassé la France... elle-même talonnée par le Mexique, autre pays émergent (3). Alors que les grandes économies, écrit Keith Bradsher, peinent à sortir de la récession, les exportations de la Chine s'envolent. Ce qui témoigne, notamment, de l'habileté avec laquelle ce pays exploite les incohérences des règles commerciales internationales afin de stimuler son économie au détriment des autres Etats. La Chine a en effet lancé une offensive sur deux fronts: elle combat le protectionnisme de ses partenaires et s'efforce de maintenir un yuan faible. Ce pays a dégagé en 2009 un excédent commercial de 198 milliards de dollars par rapport au reste du monde. Il achète des dollars et d'autres devises - pour plusieurs centaines de milliards de dollars chaque année - en vendant des yuans, ce qui déprécie sa monnaie et stimule ses exportations. Lors du sommet de Pittsburgh le 11 mars dernier, regroupant les dirigeants des pays du G20, Barack Obama est revenu à la charge, appelant Pékin à mettre en place «un taux de change plus conforme au marché». Trois jours plus tard, la réponse du Premier ministre Wen Jiabao sonnait comme un défi. Dénonçant les pressions internationales, il s'en est pris à «cette pratique qui consiste à se montrer du doigt entre pays» et a déclaré que le yuan resterait «stable».(4) Signe qui ne trompe pas: un rapport de recherche qui vient de paraître le 18 avril, prévoit que le plus grand exportateur mondial devrait plus que doubler son volume de commerce extérieur d'ici 2020. Ainsi le commerce extérieur de la Chine a connu une reprise au premier trimes-tre, avec une croissance de 44,1% pour atteindre 617,85 milliards de dollars. Pour Robert B. Zellick, secrétaire d'Etat adjoint des Etats-Unis, la mondialisation doit concerner tout le monde, les petits comme les grands, au nom du multilatéralisme. Nous l'écoutons: Après avoir assisté à la disparition du «deuxième monde» en1989, lors de la chute du communisme, nous avons observé en 2009 la fin de ce que l'on appelait le «tiers-monde»: nous vivons maintenant dans une nouvelle économie mondiale multipolaire qui évolue rapidement et dans laquelle certains pays en développement se muent en puissances économiques; d'autres pays sont en passe de devenir des pôles de croissance; d'autres encore peinent à tirer pleinement parti de leur potentiel au sein du nouveau système - où le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest ont cessé d'être l'expression d'un destin économique pour ne plus être que des points cardinaux sur une boussole. La crise économique mondiale a démontré l'importance du multilatéralisme. Au bord du gouffre. Un G-20 rénové est né de la crise et a montré ce dont il était capable en agissant rapidement pour rétablir la confiance. (...) Notre monde aura une physionomie très différente dans dix ans, lorsque la demande proviendra non seulement des Etats-Unis, mais de l'ensemble de la planète. L'évolution est déjà perceptible. La part de l'Asie dans l'économie mondiale exprimée en parité de pouvoir d'achat n'a cessé d'augmenter pour passer de 7% en 1980 à 21% en 2008. Les marchés boursiers d'Asie représentent maintenant 32% de la capitalisation boursière mondiale, ce qui les place devant les Etats-Unis (30%) et l'Europe (25%). L'an dernier, la Chine a devancé l'Allemagne pour devenir le plus grand exportateur au monde. Elle a aussi dépassé les Etats-Unis en devenant le plus grand marché automobile de la planète. Cette évolution ne concerne pas uniquement la Chine et l'Inde. En termes de parité de pouvoir d'achat, la part du monde en développement dans le PIB mondial est passée de 33,7% en 1980 à 43,4% en 2010. Il est probable que les pays en développement connaîtront une croissance soutenue au cours des cinq prochaines années et au-delà.(5) «La région du Moyen-Orient est une importante source de capitaux pour le reste du monde et, de plus en plus, une plate-forme de services commerciaux entre l'Asie. Les réserves officielles brutes des pays membres du Conseil de coopération du Golfe se montaient à plus de 500 milliards de dollars à la fin de 2008, et les actifs des fonds souverains étaient estimés à 1 000 milliards de dollars. Si le Maghreb parvient à surmonter ses lignes de fracture historiques, il pourra participer au processus d'intégration Euro-Med lié à la fois au Moyen-Orient et à l'Afrique. S'il n'est plus possible de résoudre les grands problèmes internationaux sans la participation des pays en développement et en transition, il est tout aussi impossible de prétendre que les plus grands d'entre eux - le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine (Bric) - les représentent tous. Cela vaut pour un grand nombre de défis qui se profilent à l'horizon: l'eau, les maladies, les migrations, la démographie, les Etats fragiles et les pays sortant d'un conflit. Au moment où nous considérons le G-20 comme un nouveau forum, nous devons prendre garde de ne pas imposer une nouvelle hiérarchie rigide au monde. Il faudrait plutôt que le G-20 fonctionne comme un "groupe de coordination" d'un réseau de pays et d'institutions internationales. (..) Prêter l'oreille aux problèmes des pays en développement n'est plus une simple question de charité ou de solidarité: il y va de notre propre intérêt. Ces pays sont des moteurs de croissance et des importateurs de biens d'équipement et de services produits par les pays développés. L'heure est venue d'abandonner les notions désuètes de pays développés et de tiers-monde, de leaders et de suiveurs et de donateurs et de demandeurs. Nous devons soutenir l'émergence de nouveaux pôles de croissance qui profitent à tous.»(5) Pour Pierre Haski, ces quatre pays ont des atouts et des divergences: «Ces quatre pays ont un point commun: fortement peuplés, leurs économies connaissent une croissance robuste depuis au moins une décennie, plus forte que celle des pays industriels, et leur part de l'économie mondiale ne cesse de croître. Leur caractéristique, c'est aussi d'avoir développé les relations commerciales entre eux, d'avoir fait décoller un commerce "Sud-Sud" jusque-là inexistant. Mais ce qui les rassemble, surtout, c'est une volonté commune de casser l'hégémonie occidentale sur les leviers du monde. Leurs discussions portent ainsi sur l'idée de faire émerger une monnaie de substitution au dollar ou au moins la possibilité de facturer leurs échanges bilatéraux en monnaie locale, sans passer par la devise de l'Oncle Sam. (...) Pour la première fois, ces pays "émergents" sont en mesure de prendre toute leur part dans la définition des règles du jeu international, au lieu de subir celles que décideraient les Occidentaux. A la veille du sommet, un site russe, RIA-Novosti, s'est risqué, dans son édition française, à un jeu de mot: "Brasilia, un sommet de Bric et de broc" (comment dit-on en russe?). Pas étonnant que ce soit de Russie que soit venue cette touche d'ironie pour mettre en avant le manque de cohérence de ce nouveau club. La Russie est en effet une ex-superpuissance qui vivait autrefois à égalité avec les Etats-Unis, et vient de revivre un peu de ce statut de "Grand" lors de la signature du nouveau traité Start (réduction des armes stratégiques) avec Barack Obama. Seuls les Etats-Unis et la Russie ont (encore) le potentiel de destruction nucléaire de la planète. Pour Moscou, les Bric sont un pis aller, un marchepied pour reconquérir une influence disparue avec l'Urss» (...). Le grand écart «(...) De fait, les contradictions ne manquent pas au sein de ce quatuor, à commencer par leurs systèmes politiques Les Bric ont néanmoins la capacité de susciter des coalitions ponctuelles, entre eux et élargies (De ce fait, les Bric ont d'ores et déjà changé la règle du jeu international en privant les Occidentaux, et singulièrement les Etats-Unis, de leur leadership exclusif sur la marche du monde. Mais cela ne suffit pas à changer le monde. Et plus généralement, la question reste ouverte de savoir quel poids ils auront sur la marche du monde: leur ambition est-elle simplement d'être à la table du festin sans en changer la règle du jeu, ou sont-ils porteurs d'autres valeurs? Ceux qui espéraient que l'affaiblissement américain cède la place à un "autre monde" risquent fort d'être déçus.»(6) Nous le voyons, ces nouveaux pays industrialisés (NPI), devenus Bric donnent l'impression de vouloir larguer les amarres avec leur idéologie originelle. Le vertige de puissance fait qu'ils sont amenés certaines fois à faire le grand écart en donnant l'impression d'être toujours altermondialistes tout en émargeant au râtelier capitaliste; l'exemple le plus typique est, on s'en souvient en janvier, celui de Lulla tiraillé entre Porto Allègre et Davos, il céda. C'est dire si la cause des pauvres est orpheline. Ainsi va le Monde. (*) Ecole nationale polytechnique (*) enp-edu.dz 1.Les Bric appellent à la réforme du système financier international. Courrier Int.16.04.2010 2.Martin Kurt:Définition BRIC http://www.atout-finance.com/bric.php 3.Principales puissances économiques http://www.atout-finance.com/principales-puissances-economiques-mondiales.php 4.Keith Bradsher: Comment la Chine dope ses exportations. 08.04.2010 5.Robert B.Zoellick: La fin du tiers-monde? Washington D.C. 14 avril 2010 6.Pierre Haski les Bric peuvent-ils changer la face du monde Rue 89 16 avril 2010.