Pour le moment, Amar Tou, ministre des Transports, refuse de prendre en charge les revendications des travailleurs. C'est le calme plat! La gare ferroviaire de Bab Ezzouar, banlieue Est d'Alger, est déserte: le train ne viendra pas. Le rail est orphelin des wagons, les bancs pleurent les voyageurs. Ce soleil ne peut effacer la tristesse qui s'est emparée des lieux. Le printemps semble avoir pris congé, il ne peut s'accommoder de ce silence de cimetière. A l'entrée, quelques guichetiers font amende honorable. Ils reçoivent les rares citoyens qui, ultime espoir ou comble du désespoir, viennent prendre le train. Un homme arrive. Il est surpris par la léthargie ambiante dans laquelle se trouve la gare. Il cherche après le train qui vient de la gare Agha d'Alger-Centre. «Je suis désolée, nous sommes en grève», lui déclare Souhila, une guichetière. La sentence est tombée comme un couperet. Bredouille, l'homme rebrousse chemin. Le fleuve humain qui passait par Bab Ezzouar a tari. «Dans les situations normales, pas moins de 11.000 étudiants transitent par cette station», nous indique Souhila. Cela représente le tiers de la totalité des étudiants qui prennent d'autres moyens de transport. La gare de Bab Ezzouar dessert Alger-Centre, El Harrach, Rouiba, Reghaïa, Tizi Ouzou et Boumerdès. Ils sont 30.000 étudiants, venant des wilayas limitrophes, qui rejoignent quotidiennement les différents campus d'Alger. «Cette situation a chamboulé mes habitudes: pour arriver à la fac centrale à 8h30, je dois me lever à 5 heures du matin», regrette Imène, étudiante en 2e année en interprétariat. Imène fait la navette quotidienne entre Boumerdès et Alger. Le chemin des études est long et sinueux. Cette inquiétude se lit, également, sur le visage de B.Toufik, un jeune, la vingtaine à peine entamée. «Je viens de rater ma deuxième journée de formation», s'inquiète le stagiaire du centre de formation Hassiba-Ben Bouali, sis à la rue éponyme. Comme un air mélancolique, la préoccupation traverse les lieux et les âges. Elle dessine des traits crispant le visage de B.Boualem. Ce quinquagénaire tient un point de vente à la cité des travailleurs, jouxtant la gare ferroviaire de Bab Ezzouar. «J'ai deux enfants qui fréquentent l'école primaire dans la commune de Oued Smar. Ils font un trajet de 3 km en aller et retour», confie-t-il. C'est connu, le train dérange la quiétude des citoyens par le sifflement strident qu'il émet. Avec la grève des cheminots, c'est le silence de la locomotive qui perturbe leur sérénité. Et ce silence s'est installé sur la gare Agha. «Le taux de suivi de la grève est de 100%», déclare Benmansour Abdelhak, membre de la cellule de crise des cheminots. Le chargé de communication de la Fédération des syndicats des cheminots, affilée à l'Ugta, Djamel Bichikhi, estime pour sa part «le taux de suivi à 95%». En tout cas, les trains de la gare Agha n'ont pas sifflé. Ils refusent de prendre les 5000 à 7000 passagers qui fréquentent, quotidiennement, le coeur du rail d'Alger. Le train de la Société nationale des transports ferroviaires (Sntf) est en colère. Ainsi, près de 100.000 voyageurs/jour, à l'échelle nationale, sont sur les quais du conflit qui oppose les cheminots à la tutelle. Au troisième jour de grève, la situation ne fait que s'enliser. «Les pourparlers sont dans l'impasse», déplore M.Benmansour. Des négociations ont eu lieu lundi entre la direction de la Sntf et les représentants des cheminots. A l'occasion, ces derniers ont réitéré leurs revendications au directeur général de la société. Il s'agit d'aligner leurs salaires de base sur le nouveau Salaire national minimum garanti (Snmg) qui est de 15.000 DA. «Actuellement, le salaire de base des cheminots est de 12.480 DA», signale M.Bichikhi. Et celui-ci d'enchaîner: «Les 10.000 travailleurs des chemins de fer demandent l'application de l'article 52 de la convention signée entre le partenaire social et la direction de la Sntf en 2006.» Cet article stipule que le salaire de base ne doit être en aucun cas inférieur au Snmg. Sur ce point, les représentants des cheminots ont assuré que le directeur général de la Sntf avait avoué son incapacité à prendre en charge cette revendication. Et le ministre des Transports dans toute cette affaire? «La réponse du ministre a été catégorique: c'est niet!», tranche M.Bichikhi. Devant cette situation, la Fédération des syndicats des cheminots a adressé, hier, une correspondance au ministère, dans laquelle elle interpelle le ministre sur la nécessité de prendre en charge les doléances des cheminots dans les plus brefs délais. Il y va de l'économie du pays. Actuellement, la Sntf assure le transport de près de 25 millions de personnes par an. Cela représente des recettes annuelles avoisinant 1,5 milliard de DA. Au train où vont les choses, la locomotive de la Sntf risque de garder le silence pour longtemps.