Les arguments en faveur de cette réforme sont nombreux Urgence signalée donc pour la réforme du secteur pénitentiaire. Hier dans ces mêmes colonnes, il nous a été donné de livrer quelques points de repère sur lesquels devrait en principe s'appuyer la puissance publique pour entreprendre une réforme qui, en fait, s'inspire de la politique de protection des droits de l'Homme. Sans quoi on ne peut soutenir longtemps la thèse de la défense de ces droits sans souscrire à son tour à la remise en ordre de sa propre politique intérieure, particulièrement à tout ce qui touche de près ou de loin à l'intégrité morale et physique de l'Homme. La création d'un département ministériel chargé de réformer le secteur pénitentiaire devrait, en principe, participer de la philosophie qui a voulu que, depuis quelques années, l'Algérie a réussi à abandonner le rigorisme improductif du bonapartisme façon tiers-monde, en optant pour un profil moins guindé et surtout largement ouvert sur l'altérité. D'ailleurs, les arguments en faveur de cette réforme sont nombreux et faciles, dans un premier temps, à mettre en oeuvre. Pour avoir voulu en recenser quelques-uns, on ne pouvait faire l'impasse sur un comportement qu'on ne saurait tolérer plus avant. Et ici je veux parler des visites rendues aux détenus par leurs parents qui, notons-le, trouvent rarement grâce aux yeux de l'administration pénitentiaire dont les gardiens, par on ne sait quel comportement volontairement blessant, prennent un malin plaisir à les traiter comme les pensionnaires dont ils ont la garde. Mais ce n'est pas tout. Que savons-nous de l'insertion dans la vie civile des prisonniers qui ont payé leur dette à la société? Rien! En tout cas, aucune statistique sociale ne permet de savoir combien d'anciens détenus (ues) ont été réintroduit(e)s dans les circuits économiques avec la même «facilité» dont font régulièrement mention les discours dans le même domaine, des autres pays. En Algérie et le phénomène n'est pas rare, s'il est un secteur honni par l'opinion publique, c'est bien celui des prisons qui reste, quelle que soit la façon de l'aborder, pour beaucoup un lieu où le mal promeut le mal. Est-ce parce que notre pays continue de vivre sous une pesante chape de corruption? En partie certainement, mais cette façon de voir les choses n'explique pas et autorise encore moins un fonctionnaire de l'Etat, assuré par ailleurs d'une invulnérable impunité, à traiter le visiteur de la même façon que le prisonnier. Cela d'une part. De l'autre, on se demande à quoi rime cette façon de transformer les salles de parloir en thébaïdes bardées de grillage au point que celui ou celle qui voudrait s'abreuver de l'image de l'être cher ne voit de lui qu'une silhouette floue et sans relief. Si vous demandez pourquoi faites-vous ça à un gardien en service, il vous répondra, grognon: «A cause de la sécurité.» Mais mon cher ami, le meilleur garant de la sécurité d'un lieu censé resté invulnérable, c'est encore le cerveau humain quand il produit de l'intelligence. Nous venons d'évoquer «l'image de l'être cher». L'une des réformes les plus simples à mettre en oeuvre consisterait, dans une première phase, à acheter, pour chaque centre pénitentiaire, un appareil photographique grâce auquel la famille pourrait suivre l'évolution physiologique du détenu pour ne pas qu'elle perde à terme le contour de son profil, de ses gestes qu'elle peut aisément deviner à travers les attitudes prises devant le photographe de prison. Cela dit, il ne faut pas négliger non plus les autres aspects de l'enfermement. Et en particulier la situation des condamnés à des peines infamantes. En prison, on sait que ce type de détenus est doublement condamné. Primo par l'infamie de son statut de détenu de longue durée qui le poursuivra durant tout son séjour en détention et qui offrira des prétextes faciles aux gardiens de le mépriser. Après 15 ou 20 ans de prison, voire davantage, il est rare que le prisonnier regagne serein l'air pollué de la rue avec l'assurance de retrouver les repères qu'il avait aliénés en s'opposant à la loi lors de son incarcération. Généralement, ces gens-là préfèrent plutôt mourir que de tenter une nouvelle fois l'aventure humaine au motif qu'ils sont souvent livrés à eux-mêmes et n'attendent de soutien ni de l'administration ni des associations dont une seule seulement existe en Algérie depuis l'indépendance. Ce qui nous conduit à dire que nos prisons sont depuis suffisamment longtemps à l'abandon et qu'il est temps de réagir. Comment? En commençant toute affaire cessante par considérer le prisonnier qui a payé sa dette à la société comme un homme normal qui mérite autant de considération que celui qui ne s'est jamais fait attraper. Pour ce faire, il faut repenser nos prisons et le personnel qui est censé en assurer la garde, en allant s'il le faut jusqu'à poser la question pour savoir pourquoi ne pas commencer à procéder comme on a désormais pris l'habitude de le faire depuis quelque temps en économie: faire gérer notre secteur pénitentiaire par le truchement des concessions!