«Pourquoi remettre sur le tapis toute cette violence?», dira le réalisateur lors de la conférence de presse. Les manifestations des partisans de l'extrême droite, venus protester sur le parvis du Palais du Festival de Cannes, n'ont pas eu finalement raison de la ferveur qui a entouré la projection-presse donnée hier en matinée du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, encore moins d'altérer la superbe ambiance qui a régné au cours du point de presse. Un pétard mouillé en fait. Même si on pouvait lire sur certaines pancartes: «Attention les égorgeurs sont là!» Pour ainsi dire, les manifs sont passées inaperçues. Il faut dire aussi qu'un fort dispositif sécuritaire était posté juste à l'entrée. Une fouille des journalistes, inhabituelle ce matin. Plus minutieuse que d'habitude. C'est flegmatique, que Rachid Bouchareb, accompagné du producteur français de Hors-la-loi, Jean Bréat, est arrivé, non sans son trio de comédiens gagnant, à savoir Jamel Debbouze comédien et aussi producteur du film, Roshdy Zem et Samy Bouajila. Une seule femme était présente à cette cérémonie et non des moindres, la valeureuse La Aïni, Chafia Boudraâ. La conférence de presse était rehaussée, du côté algérien, par la présence de Mustapha Orif, directeur de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc) et producteur exécutif du film, sans oublier Zehira Yahi, porte-parole de la ministre de la Culture, Ahmed Bedjaoui et, certes, Tarek Ben Ammar, le directeur des studios de tournage Cartago Film où le long métrage a été tourné «en partie», en Tunisie. La conférence de presse s'est déroulée dans une ambiance bon enfant et détendue malgré le sujet fort sensible traité par le film et qui pouvait fâcher. Certains du moins. C'est un Rachid Bouchareb serein et mesuré, qui n'a cessé d'inviter les gens au dialogue à travers son film, qui s'est offert au roulement de questions de la presse. La première question posée est celle liée au renforcement du cordon sécuritaire exceptionnel qui a entouré la projection. Rachid Bouchareb s'est dit surpris de voir cette tension près de 50 ans après l'indépendance de l'Algérie. «Le passé colonial reste très tendu, la preuve, il continue à susciter une telle violence autour du film. C'est exagéré, et sans qu'il n'ait été vu. J'ai été un peu peiné de voir ça. Mon film est là pour susciter un débat, non pas pour perpétuer cette violence chez la nouvelle génération, mais pour apporter des choses positives. Au moins, l'abcès est crevé. Des voix se sont aussi élevées lors de la sortie du film Indigènes.» Evoquant l'identification des comédiens à leurs personnages respectifs, Jamel Debouzze, plaisantant, dira qu'il s'identifie un peu à son personnage dans la mesure où il est en marge dans l'histoire et s'occupe du monde des affaires. «J'ai compris combien la révolution fait mal», a-t-il dit. Rochdy Zem, pour sa part, a indiqué ne pas se reconnaître dans son personnage, c'est pourquoi il l'a joué avec beaucoup de plaisir. Pour Samy Bouajila, son jeu fort dans le rôle de l'intellectuel résistant jusqu'au bout des ongles, l'a fait penser à l'Emir Abdelkader (il s'appelle Abdelkader dans le film.) Et de confier: «Qu'on soit acteur français d'origine maghrébine, il faut que nos personnages deviennent des espaces d'expression et de fantasmes. Qu'on se serve de notre métissage comme un atout qui, pour le moment, parasite plus qu'autre chose pour ne pas dire stigmatise.» Pour Chafia Boudraâ, son rôle, digne confie-t-elle, a été en fait celui des mamans du monde entier. «La mère à moi dans le film était ma maison et la terre. J'ai vécu des douleurs tues en moi que je ne pouvais exprimer car je ne suis pas politicienne». Pour Tarek Ben Ammar, il est faux de dire que les Français ont des problèmes avec leur passé. La preuve: Hors-la-loi a été financé par la France (à 58% Ndlr). «On y voit la grandeur de la France et du Maghreb. On voulait montrer que la solidarité des Maghrébins existe et qu'elle passe par le coeur pour arriver à la tête.» Pour Rachid Bouchareb, le rôle confié à Samy Bouajila s'apparente à un «bulldozer», qui n'abdique devant rien. «Cette violence politique liée à tout mouvement révolutionnaire, il faut la suivre pour voir jusqu'où elle peut aller. Ce n'est pas une question de courage que de faire ce film. C'est ça le cinéma!» A propos du titre du film, Rachid Bouchareb fera remarquer, que dans les archives des années 1950 on y trouvait souvent dans la presse ce mot «hors-la-loi». Abordant la question du financement, Jean Bréat a indiqué que le souci du réalisateur était, avant tout, d'arriver à faire un film avec «la qualité la plus artistique possible». Pour Mustapha Orif, le financement a été facile à obtenir, compte tenu de la renommée de Rachid Bouchareb. Rappelons que Hors-la-loi a été réalisé dans le cadre des accords de coproduction algéro-français (2007). Aussi, Rachid Bouchareb a tenu à préciser qu'il n'a jamais eu de problème de la part de l'Algérie. «Même si j'ai parlé de violence politique, on ne m'a jamais censuré. C'est un film coproduit par deux ministères sur une seule idée.» Et de souligner: «Chacun a sa propre histoire dans la grande histoire. Mon film a de la place pour tout le monde, les pieds-noirs comme les Algériens. Il a été fait dans le même esprit qu'Indigènes», et Jamel Debbouze de dire cette phrase sensée parmi tant d'autres, hilarantes et farfelues: «Pour aborder l'avenir, il faut bien penser au passé.» Pour sa part, Rachid Bouchareb rectifiera l'idée selon laquelle son film sert à réparer une injustice de mémoire coloniale envers les Français ou les Algériens. Il s'agira pour lui de parler du présent en découvrant des choses sur notre passé. «Coppola n'a pas écrit l'histoire. Un film est là, l'histoire s'écrit encore. Si le film suscite un grand intérêt, c'est bien. A l'arrivée, la nouvelle génération doit être consciente de son passé pour pouvoir avancer sereinement. Je n'ai pas à prendre en charge toute l'histoire. Je fais du cinéma. Je ne discuterai pas avec les gens qui veulent en faire encore un champ de bataille. Pourquoi remettre sur le tapis toute cette violence?» Le réalisateur de London River lancera, solennellement, en outre, un appel au gouvernement français et au secrétariat d'Etat aux Anciens combattants pour l'application de promesses non tenues envers les anciens combattants maghrébins qui ont servi dans l'armée française et que le gouvernement de l'époque Jacques Chirac, avait promis, notamment d'améliorer leurs pensions, chose faite que partiellement. Et au trublion de service, Jamel Debbouze, d'avoir le dernier mot, par cette pirouette: «Ce n'est pas les hommes politiques qui font l'histoire, mais les hommes tout court. Apprenons notre histoire commune, c'est très important.»