Nous savons depuis la fin des années 1970 que la technologie ne constitue pas un bien public. Autrement dit, elle n'est pas assimilable à un bien qui serait disponible sans coût autre que celui de son achat au prix du marché. Les retards accumulés par notre pays montrent qu'il n'est pas suffisant d'acheter des technologies modernes pour les utiliser de façon optimale. Il existe même une loi d'airain qui s'impose de plus en plus, à savoir que les pays maîtrisant les technologies modernes sont ceux qui sont appelés à les valoriser au maximum dans les années et les décennies à venir. Dans sa chronique hebdomadaire (Plan de relance 2010-2014: une analyse technique, El Watan des 31 mai 6 juin 2010), le Dr Lamiri fait grief au Policy maker d'avoir privilégié les conditions hard du développement (infrastructures, équipements collectifs) au détriment du soft (management, gouvernance des entreprises). Etait-ce le choix délibéré de décideurs ou bien n'était-ce pas les conditions objectives d'usage du capital qui n'ont pas permis d'engendrer des externalités positives sous forme d'apprentissage (Learning by doing)? C'est toute la problématique de la relation entre le stock de capital et le stock de connaissance qui est ainsi soulevée. En Algérie, depuis les premiers plans de développement des années 1960 jusqu'au PCSC (2005-2009), la décroissance de la productivité marginale du capital (qui correspond à l'accroissement de la quantité de capital) n'a jamais pu être compensée par la croissance du stock de connaissances qui aurait profité à l'ensemble des entreprises en leur permettant d'augmenter leur efficacité. L'ampleur du capital matériel et du capital financier Quelque 5000 établissements de l'Education nationale, 3000 établissements de formation et d'enseignement professionnels, 377 polycliniques, 5000 infrastructures pour la jeunesse, 2800 milliards de DA pour le secteur des transports, 1800 milliards de DA pour l'amélioration des moyens et des prestations des collectivités locales, du secteur judiciaire, 1500 milliards de DA dont 1000 au soutien du développement agricole, 2000 milliards de DA de crédits bancaires bonifiés par l'Etat au profit du développement industriel, 350 milliards de DA pour l'encouragement à la création d'emplois sont a priori, de nature à faire accéder l'Algérie à un niveau supérieur de son développement. Au sortir de deux plans dont le coût global dépassera les 580 milliards de dollars, l'Algérie ne devrait plus être considérée comme un pays en développement et sa croissance future cesser de fluctuer au gré des cours du pétrole. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples et on veut espérer ici, que le décideur ne confonde pas les objectifs physiques du plan quinquennal avec la qualité de la croissance. Ce plan est supposé favoriser, une fois achevées dans les règles de l'art et dans les délais impartis, toutes les infrastructures programmées. Il ne suffit pas de posséder des capitaux financiers importants. L'Algérie devra impérativement innover, à l'instar du Maroc, de la Tunisie, de la Turquie, de la Malaisie, du Brésil ou du Mexique, dans les instruments institutionnels, en particulier financiers pour pouvoir se développer. Ces pays ont pu favoriser en effet, à des degrés divers, ce que les économistes appellent les «arrangements institutionnels», c'est-à-dire l'ensemble des instruments utilisés par les agents économiques pour résoudre des problèmes que ni l'Etat ni le marché ne peuvent régler à eux seuls (accords de coopération entre entreprises, fonds communs d'entreprises pour financer des biens à usage collectif, etc.). Malheureusement, en Algérie, l'économie institutionnaliste n'existe pas. Coexistent au sein d'un ensemble hétérogène et totalement disparate, un secteur privé archaïque, un secteur public économique sinistré, des entreprises étrangères à la recherche de niches technologiques ou commerciales, des autorités de régulation sectorielles insuffisamment indépendantes et peu outillées pour superviser les opérateurs économiques qui en relèvent. Enfin, des banques et des établissements financiers qui reçoivent des dépôts à vue ou à terme et qui se sont spécialisés dans la distribution de crédits à court terme, mais sans pratiquement jamais prendre ou gérer des participations dans des affaires commerciales existantes ou en formation. Rechercher la congruence technologique Reste le débat sur la congruence technologique. Avec l'arrivée de Mohamed Benmeradi, grand commis de l'Etat, à la tête du ministère de l'Industrie, de la PME et de la Promotion de l'investissement, il faut espérer que se mette enfin en place une stratégie industrielle qui intègre la problématique de la congruence technologique. Si l'Algérie est encore appelée à dépendre de l'étranger pour l'acquisition de son savoir-faire, il sera impossible d'éluder les aspects relatifs à la disponibilité objective en capital et en main-d'oeuvre qualifiée, la taille de notre marché, l'accès aux matières premières. Une stratégie industrielle digne de ce nom ne saurait faire abstraction du cloisonnement actuel du marché algérien, de l'absence d'homogénéisation de la demande solvable, de l'abondance d'une main-d'oeuvre non qualifiée et de la faible efficacité des ressources nationales qui sont investies en capital physique et dans l'éducation. La question du rattrapage technologique est un phénomène complexe. L'Algérie devra accomplir des efforts substantiels d'investissement et d'innovation, ce qui suppose l'élaboration d'un nouveau système d'éducation et de formation. En principe, comme l'a souligné excellemment le Dr Lamiri (Cf. article précité), les investissements en capital physique et ceux en capital humain doivent se compléter. Mais si l'on s'en tient à l'état des lieux du secteur dressé par le ministre de l'Education, selon lequel, l'Ecole algérienne se porte bien, on découvre alors qu'il n'existe pas de lien positif fort entre les investissements en R & D et la progression de la productivité du travail et du revenu par tête. Cette situation, si elle devait se confirmer, serait très inquiétante pour l'avenir. Pour être au net sur cette question, il conviendrait de mener des analyses qui permettraient de vérifier si oui ou non l'Algérie possède un potentiel de rattrapage technologique (préalable à l'élaboration d'une stratégie industrielle, quelle qu'elle soit) et dans quelle mesure celui-ci constitue une opportunité de développement et de croissance. Quoi qu'il en soit, dans tous les pays émergents dont l'Algérie doit s'inspirer, d'autant que ceux-ci sont appelés à devenir nos principaux partenaires (Turquie, Malaisie, Brésil, Afrique du Sud), les acteurs politiques et économiques sont parvenus à réaliser une symbiose quasi parfaite entre les investissements en capital physique, l'éducation et la formation, la R & D et enfin les infrastructures. Même si le temps lui est désormais compté, l'Algérie peut parfaitement relever ce défi. (*) Professeur en droit des affaires [email protected]