Si le gouvernement a décidé d'affecter 286 milliards de dollars à la poursuite de la modernisation et de la réhabilitation des structures économiques et sociales, c'est bien sans doute parce qu'il a estimé que seul l'apport des finances publiques était susceptible de relancer la croissance économique. Sur les 286 milliards, 130 sont dédiés à l'achèvement des projets d'investissement inscrits dans le Pcsc (2005-2009). Pour 2010-2014, l'éducation nationale, l'agriculture, la santé, les transports, le BTP, l'enseignement professionnel ont été priorisés dans le but de les faire accéder à un niveau de développement supérieur qui pourrait faire de l'Algérie un pays émergent au sens des critères retenus par la Banque mondiale ou le World Forum of Affairs. Un fort volume de dépenses publiques A priori, deux enseignements ont dû être tirés par le Policy maker. Le premier est que les déficits budgétaires enregistrés chaque année depuis 2005 (date d'entrée en vigueur du Pcsc) ne mettent pas en danger les finances publiques, autrement dit, il s'agit de déficits maîtrisables. Le deuxième enseignement est que les dépenses déjà engagées au titre du Pcsc ont donné des résultats qu'il convient d'améliorer encore en privilégiant l'intervention publique pour soutenir la croissance économique. Plusieurs commentateurs représentant un large spectre de l'expertise économique algérienne n'ont pas manqué d'exprimer leur profond scepticisme à l'égard de ce plan soulignant une double inquiétude: le creusement des déficits publics qu'il induit à terme et le risque lié à l'efficacité marginale de l'investissement qui est historiquement très faible en Algérie au regard de toutes les sommes qui ont été allouées pour le financement des plans de développement, et ce, depuis le fameux Plan de Constantine de 1959. Cette double inquiétude n'est pas propre à l'Algérie; elle se vérifie dans tous les pays où la politique budgétaire se veut interventionniste et où la politique monétaire est mise au service de la demande globale. Nombre de spécialistes ont déjà mis en évidence la nécessité pour le gouvernement de maîtriser les dépenses publiques et de ne pas laisser filer les déficits dont l'accumulation constituera la dette interne que les générations montantes seront dans l'obligation de rembourser, au prix d'une rigueur économique et sociale implacables. Ceci dit, s'il est exact que les besoins en développement sont encore importants, n'est-il pas risqué, alors que l'évaluation des dépenses publiques au titre du Pcsc n'a pas encore été établie, de faire à nouveau confiance au multiplicateur keynésien en injectant des montants considérables dans des structures économiques et sociales qui ne sont pas encore celles d'un pays émergent? En réalité, le plan quinquennal (2010-2014) repose largement sur un pari qui consiste à faire porter la demande globale non sur les importations mais sur des investissements d'intérêt général, grâce aux ressources d'épargne rendues disponibles par les restrictions aux importations. C'est du reste cette thèse qui sert de toile de fond à la LFC pour 2009. La question reste toutefois de savoir si les 286 milliards de dollars généreront le surcroît de richesses qui sera suffisant pour financer les déficits publics qui se pointent à l'horizon. Trois ordres de circonstances invitent à une grande circonspection à l'égard du plan quinquennal sauf si le gouvernement parvient à se donner les moyens d'en assurer une exécution parfaite et si les synergies qu'il est censé sécréter permettront un véritable retour sur investissements en termes de collecte fiscale, de création d'emplois et de mise à niveau des entreprises. L'efficacité aléatoire des dépenses publiques Le premier ordre de circonstances est une interrogation. Les impôts vont-ils augmenter pour financer les déficits à venir et dans cette hypothèse, les agents économiques pourront-ils augmenter leur propre épargne? En d'autres termes, on assisterait à une augmentation de l'épargne privée qui viendrait contrebattre les effets de la désépargne publique, comme cela ressort de la théorie de l'équivalence ricardienne. Rien n'est moins sûr. Aucune étude jusqu'ici n'a pu démontrer que l'équivalence ricardienne jouait avec quelque efficacité dans les pays en développement qui optent pour de fortes dépenses publiques pour relancer la croissance économique. A. Benachenhou a eu certainement raison, dès janvier 2009, de mettre en garde les pouvoirs publics contre les risques inhérents aux dérapages budgétaires susceptibles de résulter de l'exécution (toujours aléatoire et incertaine) des plans de développement. Le deuxième ordre de circonstances est qu'à l'instar de toutes les économies contemporaines, l'économie algérienne est de plus en plus complexe. Ses besoins ne sauraient se réduire à la modernisation des équipements collectifs et des infrastructures publiques. Autant que les autres pays, davantage même qu'eux, compte tenu des retards accumulés, notre pays a besoin d'investir dans l'économie matérielle, le savoir-faire, le transfert de technologie, l'amélioration de la qualité des prestations du secteur tertiaire. Pour ce faire, la procédure de la centralisation des finances publiques ne semble guère adaptée. C'est plutôt dans le cadre décentralisé du marché qu'est assurée l'allocation optimale des ressources. Or ce marché décentralisé n'existe pas encore. Il devra être créé avec le concours de tous les agents économiques sans exception. Dans combien de temps? Moyennant quel type de réformes? Nul n'en sait rien. Le troisième ordre de circonstances est que l'Algérie, au regard de l'épuisement à terme de ses recettes pétrolières, de l'incertitude du marché du gaz naturel (avec la montée en puissance des gaz non conventionnels) et de l'augmentation des besoins de la population (qui avoisinera les 50 millions d'habitants en 2020), doit épargner impérativement. L'épargne, contrairement à ce qu'a laissé entendre un ancien chef de gouvernement, encore récemment, ne peut pas être considérée comme une perte pour la croissance économique. La seule précaution que le gouvernement doit prendre est de veiller à ce que le recyclage de l'épargne soit géré de façon rigoureuse, car seule l'épargne permettra le financement de la dette publique future (celle-ci est contenue en germe dans les deux plans quinquennaux de développement) et de lancer de nouveaux investissements productifs. Dit autrement, les sommes qui ne seront pas augmentées serviront directement à l'activité économique. On ne peut exclure que si d'ici 2015-2020, viennent se manifester de nouvelles tensions financières, dans ce cas il y aura une augmentation des taux d'intérêt et une diminution corrélative des investissements, ce qui ne manquera pas de ralentir la croissance alors que celle-ci ne semble pas avoir été accélérée outre mesure par le surcroît de consommation. (*)Professeur en droit des affaires [email protected]