Les métallos retournent au turbin après seulement trois jours de grève, le bras de fer tant redouté tourne à l'avantage de la direction. Vincent le Gouic semble avoir repris la main. Smaïl Kouadria était pourtant sur le point de faire tomber la tête du directeur général d'ArcelorMittal: «Le P-DG d'ArcelorMittal de Annaba, Le Gouic, m'a contacté tôt le matin pour me dire qu'ArcelorMittal Luxembourg (siège social du géant mondial de l'acier, Ndlr) lui a signifié que si la plate-forme des revendications n'est pas réglée d'ici jeudi (avant-hier), il sera limogé de son poste.» Le SG du syndicat a sans doute parlé trop vite, car selon les dernières informations, c'est lui que la tempête a finalement fini par emporter. Ses positions intransigeantes et radicales ont été vues d'un mauvais oeil du côté de l'ex-Foyer civique. Le mouton noir n'a pas voulu rentrer dans les rangs. Le couperet est tombé. Smaïl Kouadria a rendu le tablier. Le conflit qui oppose les 6200 salariés du complexe d'El Hadjar à leur employeur, qui s'annonçait comme l'un des plus durs que devait connaitre le monde ouvrier depuis que l'Algérie a accédé à son indépendance, n'aura vécu que 72 heures. Il emporte dans son sillage celui qui était considéré comme le patron du syndicat de l'entreprise. Une figure emblématique de la contestation ouvrière: Smaïl Kouadria qui donnait l'impression de tenir bien en main ses troupes. Désavoué par la Centrale syndicale, dont la stratégie privilégie désormais le dialogue à la confrontation, il a, sans aucun doute, sous une terrible pression, jeté l'éponge. L'homme fort de la place du 1er-Mai a instruit l'Union de wilaya de Annaba pour que les métallurgistes grévistes reprennent le travail. Dans «l'intérêt général des travailleurs» aurait déclaré Abdelmadjid Sidi Saïd. Dans une lettre adressée à Smaïl Kouadria, le secrétaire général de l'Union de wilaya a appelé le SG d'ArcelorMittal «à respecter les instructions du secrétariat national et à donner sa chance à la voie du dialogue à l'effet de faire valoir leurs revendications à travers les voies réglementaires». Taïeb Hmarnia, qui porte aussi la casquette de membre du bureau national de l'Union générale des travailleurs algériens, s'appuie sur la décision rendue par le tribunal d'El Hadjar pour justifier la position de la Centrale dont il s'est fait le porte- parole. «En référence à la décision de justice ordonnant au syndicat l'arrêt de la grève et suite aux instructions du secrétariat national de Ugta, l'Union de wilaya décide d'appeler les cadres du syndicat et les travailleurs d'ArcelorMittal El Hadjar à la reprise du travail en privilégiant l'intérêt général sur celui personnel.» Le message est clair. Kouadria est isolé. La base décide de reprendre le travail. Après 72 heures de débrayage, les salariés ont décidé de se remettre au turbin lors d'une assemblée générale qui s'est tenue jeudi matin. La décision du tribunal d'El Hadjar, qui a estimé que la grève était illégale aura été déterminante. Le contexte économique défavorable aux 6200 travailleurs a fait le reste. Le mois sacré du Ramadhan approche. Dans moins de deux mois, les Algériens accompliront leur devoir vis-à-vis d'un des cinq piliers de l'Islam. Un mois réputé pour ses lourdes exigences financières favorisées par l'incontournable flambée des prix des fruits et légumes et des viandes. De quoi laminer encore un peu plus le pouvoir d'achat des travailleurs. Ceux d'ArcelorMittal ont-ils pris la décision de ne pas l'hypothéquer plus que cela? Ont-ils obtenu des promesses quant à la satisfaction de leurs revendications? Pas si sûr. «Des discussions sur les salaires 2011 s'engageront après l'assemblée générale des actionnaires d'ArcelorMittal Annaba qui se tiendra, au plus tard, début juillet 2010», avait fait savoir Vincent Le Gouic dans une lettre qu'il avait fait parvenir au syndicat. L'année 2009 fait apparaitre des pertes estimées à plus de 100 millions de dollars. ArcellorMittal a fait face à une redoutable baisse de la productivité à cause d'une réduction mondiale de la demande d'acier qui a été provoquée par la crise qui a touché les principales économies de la planète. Pour rappel, ArcelorMittal avait mis en oeuvre un plan qui visait à réduire ses dépenses de 1 milliard de dollars alors que sa production à travers le monde a été allégée de 35%. 13 hauts-fourneaux avaient arrêté de fonctionner en Europe de l'Ouest. Les revendications des 6 200 métallurgistes d'El Hadjar seront-elles satisfaites malgré une conjoncture aussi défavorable? Ce n'est apparemment plus l'affaire de Smaïl Kouadria qui a passé le témoin. «Je laisse le soin à la direction de l'Ugta de gérer le conflit», a déclaré le secrétaire général démissionnaire du syndicat. La balle est désormais entre les mains de Sidi Saïd.