Entre une activité économique sous perfusion et une situation sécuritaire pitoyable, la Kabylie est entre le marteau et l'enclume. Çela fait maintenant une décennie entière que les populations de la région n'ont pas connu la paix et la quiétude. Le rapt, le terrorisme, le chômage et la délinquance sont le lot quotidien des citoyens. L'insécurité sur leur vie et leurs biens semble s'insinuer inexorablement dans leur quotidien. Tous les ingrédients d'un mal-être sont réunis. La jeunesse est la première à subir les affres de ces conditions accablantes. Si le présent déchante, que réserve l'avenir aux prochaines générations? Les chiffres ne laissent guère place à l'optimisme. L'Assemblée populaire de wilaya qui rendait ses conclusions sur la scolarité des enfants mentionne que pour l'année scolaire 2009-2010, quelque 94.067 enfants sur 202.576 élèves scolarisés ont nécessité une prise en charge financière de l'Etat. C'est-à-dire 46% des élèves vivent sous le seuil de pauvreté, donc la moitié des familles vivent dans la même situation. Tous les postulats plaident pour une machine économique performante comme seul préalable pour enrayer le cauchemar. Mais, la situation que traverse la région actuellement n'est pas pour aider à la relance de l'économie locale. Les causes sont multiples. D'une insécurité aux origines exogènes aux blocages souvent endogènes, les signaux économiques sont tous au rouge. Un examen approfondi du terrain explique bien des situations. Déjà bien avant l'avènement du terrorisme et du banditisme, les investisseurs ne se bousculaient guère aux portes de la Kabylie. Une récente enquête menée par L'Expression révélait, aidée par les représentants de la Société de gestion immobilière de la wilaya, que les opérateurs économiques trouvaient toutes les peines du monde à installer leurs projets. Les investisseurs sommés de partir Plus d'une quarantaine d'investisseurs se sont heurtés à l'absence d'assiettes foncières. Les quelques rares cas qui en ont trouvé ont fini par déchanter pour cause d'obstacles d'ordre juridique. En effet, le caractère privé des terres dans cette région est un sérieux frein à l'implantation des projets. Ceux qui ont réussi à en acquérir se sont également heurtés à l'indivision qui génère d'énormes retards dans l'acte de vente. Des ajournements qui finissent par décourager les plus téméraires. A cette situation de blocage s'ajoute l'état d'abandon dans lequel sont restées les zones d'activité, pourtant destinées à l'implantation des projets. L'absence des commodités comme l'électricité, l'eau et le gaz de ville a fini par rendre ces lieux obsolètes. Sur une quarantaine, les zones d'activité fonctionnelles se comptent sur les doigts d'une main, à l'instar de celles d'Oued Aïssi, de Tizi Ouzou et de Draâ Ben Khedda. L'insécurité qui s'est installée cette dernière décennie a fini par dissuader certains opérateurs qui sont venus s'aventurer dans un climat déjà foncièrement défavorable au développement. Une interrogation s'impose d'ailleurs sur les investisseurs kidnappés. Si la région est totalement abandonnée par les opérateurs, quel est l'apport économique des victimes de ces rapts? A bien vérifier, les personnes enlevées ne sont que des entrepreneurs et des retraités sans aucun impact sur l'économie et le développement local. Il s'avère alors que l'impact négatif de l'insécurité influe plus sur l'avenir que sur le présent. Si la nature privée du foncier et son indivision a grandement nui au développement local dans le passé et le présent, il est incontestable que l'insécurité risque de plomber les investissements pour longtemps. En l'espace de cinq années, près d'une centaine de kidnappings ont visé non pas les investisseurs mais les gens riches. A Aït Toudert, à Boghni, à Iflissen, et tout récemment à Mekla, les enlèvements sont devenus quotidiens. Sur les routes, les faux barrages sont nombreux. Les vols de véhicules et de bétail, bien qu'ils connaissent actuellement, une baisse sensible, constituent une angoisse permanente pour les populations souvent désarmées. En Kabylie ou au Far West Toutefois, ces dernières années, se sentant abandonnés à leur sort, les villages dans un sursaut d'orgueil et de dignité, ont réagi à ces actes. C'est devenu une constante que les citoyens s'organisent pour libérer les victimes en recourant aux structures traditionnelles d'organisation telles que les comités de villages. La première action du genre s'est déroulée à Aït Toudert, dans la daïra des Ouacifs. Les villageois ont observé une grève générale et une marche au chef-lieu. La mobilisation a réussi à infléchir la position des ravisseurs. Quelques mois plus tard, ce sont les citoyens de la commune littorale d'Iflissen qui entreront dans un bras de fer avec les kidnappeurs, refusant catégoriquement de céder à la demande de rançon. Ils seront suivis par les comités de villages de Boghni avant que la dernière mobilisation n'apparaîsse à Mekla. Parallèlement à ces kidnappings, des actes de banditisme d'un autre genre sont signalés dans certaines localités. A Larbaâ Naït Irathen, dans la ville de Tizi Ouzou et à Makouda, des bijoutiers ont été délestés, de jour comme de nuit. D'autres citoyens se verront extorqués de leurs biens dans plusieurs faux barrages. Une situation alarmante qui pousse les populations à s'organiser pour se défendre. Mais si la parade face aux kidnappings est trouvée, qu'en est-il du chômage? En 2009, à l'instar des années précédentes, la wilaya de Tizi Ouzou n'avait que 4300 offres d'emploi à proposer aux jeunes pour 28.000 demandes. Des chiffres qui se passent de tout commentaire. Les différents dispositifs d'insertion comme le Daip étant considérés par les spécialistes de l'économie comme un traitement social du chômage, il ne reste comme alternative qu'à dégripper la machine économique. Celle-ci, pour sa relance, nécessite des conditions. L'insécurité régnante est sans conteste un frein. Cet obstacle quoiqu'il dure, reste conjoncturel. Mais, le plus urgent est de trouver des solutions aux vrais obstacles comme le caractère privé du foncier de la région ainsi que les oppositions qui bloquent un grand nombre de projets. Car, par delà les conséquences néfastes du banditisme et du terrorisme, la Kabylie devrait transcender certains blocages d'ordre sociologique qui jouent en sa défaveur. Comme quoi, les raisons de son malheur ne sont pas toujours là où on le pense.