La flambée des prix des produits de consommation de base a laminé le pouvoir d'achat des ménages. A quel saint vont se vouer les «smicards» et les couches moyennes algériennes pendant le mois de Ramadhan? En effet, si on se fie au pouvoir d'achat qui doit probablement en moyenne être identique pour les uns et les autres, le salaire minimum a été porté à 15.000 dinars après la dernière tripartite, on peut légitimement se demander comment les petites bourses vont pouvoir faire face aux dépenses assez particulières et onéreuses du mois sacré. «Heureusement qu'il y a la baraka», diront bon nombre de pères de famille. Une formule souvent usitée pour ne pas sombrer dans la fatalité totale alors que la paupérisation gagne les foyers par milliers. Quelque trois millions d'enfants scolarisés nécessiteux sont recensés à l'occasion de chaque rentrée scolaire. Tandis qu'à l'approche du mois de Ramadhan, plus d'un million de familles dans la même situation, sont inscrites sur la liste des bénéficiaires de l'action de solidarité nationale. Selon les chiffres livrés par l'ancien ministre de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès, à la veille du mois sacré de l'année 2009, quelque 150.000 familles disposaient de la carte de nécessiteux attribuée par son département, tandis que 700.000 étaient prises en charge dans le cadre du filet social, alors qu'officiellement on dénombrait plus de 150.000 handicapés dans le besoin. Cela finit par faire beaucoup! Avec un tel taux, cette frange très fragile de la société ne peut être considérée comme étant marginale. La précarité qui ne cesse de gagner du terrain risque de laisser plus d'une famille sur le carreau. Paradoxalement, l'ambiance générale qu'offre le mois sacré du Ramadhan est tout autre. Une nette impression que la majorité de la population fait face aux dépenses paraissant secondaires, devenues au demeurant, pratiquement incontournables (zlabias, kalb elouz...), se dégage pourtant. Rodés à ce genre d'événement à portée hautement religieuse avec des traits de caractère culturel où l'aspect culinaire tient le haut du pavé, les Algériens assument avec une certaine décontraction, bien méditerranéenne, les contraintes financières. Koul aâtla fiha keïr, Rabi ma fih ghir el kheïr...(A chaque jour suffit sa peine, laissons le reste à la Clémence de Dieu) sont devenues des formules qui peuvent en dire long sur cette espèce de fatalité qui agrémente leur quotidien, mais qui, d'autre part, en dit long sur leur détermination à venir à bout des difficultés que leur impose un quotidien de plus en plus contraignant. Puiser les forces nécessaires dans la foi décuple leurs moyens pour sortir victorieux des épreuves les plus redoutables. Comment expliquer, en effet, qu'un chef d'une famille algérienne moyenne estimée à six personnes s'en sorte face à des dépenses qui dépassent de loin ses revenus? Un semblant de réponse peut s'esquisser à travers le mode d'organisation sociale qui caractérise la société algérienne, certes malmenée, mais qui continue de résister. Articulée autour d'une solidarité ancestrale qui constitue l'essence même de la famille élargie, celle-ci agit dès que les besoins se font ressentir. C'est la réputation de tout un clan qui est en jeu. Les salaires mis en commun au sein des familles qui n'ont pas éclaté, elles sont encore nombreuses, donnent naissance à une forme de pouvoir d'achat unique qui permet d'éviter bien de frustrations. Une espèce de communautarisme qui même s'il contient quelques contraintes, telle que la cohabitation de longue durée, offre plus qu'une simple impression de sécurité: un sentiment de bien-être dont bon nombre s'en délectent et sont loin de s'en défaire.