Après avoir souffert des grosses chaleurs, voilà qu'ils affrontent le jeûne. Le ventre vide, une soirée trop longue suivie d'une nuit agitée, le manque d'un «p'tit café noir» le matin...enfin, tous les ingrédients sont réunis pour faire d'une équipe de travailleurs des sortes de robots qui se meuvent au ralenti le matin, dans les chantiers. Après les journées de grosses chaleur durant lesquelles ils ont enduré les méfaits du soleil et de la soif, voilà qu'aujourd'hui, pendant le Ramadhan, les équipes d'ouvriers se succèdent sur les chantiers de la capitale et d'ailleurs. Ils sont soudeurs, maçons, grutiers, manoeuvres...Toutes les activités d'un chantier sont assurées même pendant le Ramadhan. Certains d'entre eux passent la nuit sur le chantier même, d'autres sont, par bonheur, transportés alors que d'autres supportent les affres du transport, quoique cette catégorie n'est pas nombreuse. Tous souffrent de la soif en ces temps pas cléments pour un jeûneur dont le travail devient plus pénible encore. Le manque de sommeil joue également un rôle dans cette espèce de léthargie qui engourdit tout candidat au travail pénible et tout acteur sur un chantier. Pensant se dégourdir et se relaxer après une rude journée de travail et d'abstinence, ces ouvriers ne ratent pas une soirée avec leurs familles ou amis, qui autour d'un thé chez soi, face à la télévision avec beaucoup de plaisir pour celui qui est branché ailleurs, qui, autour d'une partie de dominos, un jeu devenu sacro-saint pendant le Ramadhan, avec toute l'ambiance des dialogues et des répliques des joueurs comme des assistants nombreux qui rappellent ceux des fans des équipes de football. Sur un chantier de construction d'un pont où nous nous sommes rendus non loin de Kouba, un groupe de près d'une vingtaine d'ouvriers ou plus, sont assis discutant de chose et d'autre. Un vision pour le moins insolite dans un chantier à cette heure tardive de la matinée, dirions-nous. Il n'en était rien. Ces ouvriers attendaient, depuis tôt le matin, la livraison d'une rampe préfabriquée pour l'installer sur le pont en construction. Les discussions allaient bon train sur les différentes manières dont tout un chacun a passé la soirée de la veille. Parfois des rires fusaient malgré la fatigue et la longue attente qui les a quelque peu engourdis. Tout un chacun essayait de tromper, un tant soit peu, l'ennui, la fatigue, la faim, l'envie d'un café, le manque de tabac... Abordé par L'Expression, un ouvrier nous a fait part de la difficile et pénible tâche d'un homme sur un chantier. «Mais il faut bien travailler, sinon qui achètera la «chorba» et tout ce qui s'ensuit, à mes enfants?», s'est-il dit affirmatif, avec courage, mais sans enthousiasme aucun. Un autre employé, qui semblait être un responsable au vu de sa tenue, nous a expliqué que ce sont deux équipes qui assurent le travail H24 sur ce chantier. L'une commence dès 7h du matin pour ne terminer qu'à 15h, alors que la seconde prend la relève de 21h jusqu'à 7h le lendemain. Les ouvriers ont tout juste le temps de préparer un frugal repas composé souvent d'une soupe, qui ressemble de loin à une chorba ou une h'rira, de friture, de légumes ou d'oeufs. Les plus nantis garnissent ce modeste repas d'une pastèque ou d'un melon, les fruits du «zaouali», ajoute notre interlocuteur Puis, avec un air condescendant à la limite, il ajoute que pour le café, une cafetière ou deux sont préparées pour tout le monde ce qui est synonyme de solidarité entre ces gens simples. Pour illustrer la solidarité exemplaire du peuple algérien pendant le Ramadhan, un ouvrier nous dira avec fierté qui illuminait son visage buriné par le temps et les saisons: «Souvent ce sont des habitants des environs qui nous ramènent du café» et un autre de renchérir «Parfois avec des galettes et même des gâteaux quand il y a une fête.» Le labeur pendant le jeûne n'est point une sinécure, il est fort pénible pour ces constructeurs, ces paysans, ces ouvriers...Ce monde travailleur qui ne s'arrête pas pour que la vie continue.