Surendettée, moins vigoureuse, l'économie américaine va-t-elle devoir abandonner la place de première puissance mondiale qu'elle occupe depuis près d'un siècle? La croissance de la Chine, qui a détrôné le Japon au rang de deuxième économie mondiale, ravive aux Etats-Unis le spectre d'un «péril jaune», à savoir la peur de voir le champion économique mondial avalé par un rival asiatique. Surendettée, moins vigoureuse, l'économie américaine va-t-elle devoir abandonner la place de première puissance mondiale qu'elle occupe depuis près d'un siècle? Ce sera peut-être le cas dès 2020, selon des projections publiées en juin par la Banque mondiale, institution qui a un président américain et un économiste en chef chinois. L'idée hante une certaine Amérique. Un documentaire à succès sur la dette sorti dans les salles en pleine crise financière en 2008, «I.O.U.S.A.» (titre qui signifie: «Je dois aux USA»), dépeignait les Etats-Unis, «Cigaleville», comme promis à être rachetés par les habitants de «Fourmiville», ces industrieux Chinois. Ce sombre présage a un air de déjà-vu pour les Américains de plus de 60 ans. Dans les années 1980, les Etats-Unis affichaient un déficit commercial croissant avec le Japon. Le yen s'appréciait, et des banques nippones richissimes achetaient des montants colossaux d'actifs financiers américains. En 1987, sous la présidence de Ronald Reagan, la Maison Blanche avait appelé ses principaux partenaires, Tokyo en tête, à réduire la dépendance de leur économie vis-à-vis du consommateur américain. Le ton employé à l'époque aurait de quoi froisser aujourd'hui. Malcolm Forbes, fondateur du magazine du même nom, trouvait «inadmissible» en 1988 que les Japonais «utilisent leurs milliards de dollars pour acheter de gros morceaux des grandes entreprises américaines, ou s'emparer des intérêts technologiques, médicaux ou stratégiques des Etats-Unis». La miraculeuse croissance japonaise allait s'effondrer dans la décennie suivante, asphyxiée par des années de surinvestissement et de crédits démesurés. En 2008, les Japonais perdaient leur rang de premiers créanciers étrangers de l'Etat fédéral américain. Au profit des Chinois qui réinvestissent les dollars amassés en étant premiers exportateurs sur le marché américain. L'un des critiques les plus sévères de Pékin aujourd'hui est le prix Nobel d'économie américain Paul Krugman. «Ce que fait la Chine équivaut à une politique commerciale de prédation, le genre de chose qu'est censée empêcher la menace de sanctions. Pourtant les Chinois nous ont jaugés, et ont déterminé que nous ne passerions pas à l'acte», lançait-il encore mardi sur son blog hébergé par le New York Times. Il voudrait voir le président Barack Obama plus ferme sur la réévaluation de la monnaie chinoise. Mais l'Empire du milieu joue depuis quelques mois un jeu qui gêne la Maison-Blanche, remarque Tim Duy, professeur de l'université de l'Oregon. «Au lieu d'acheter des dollars, la Chine achète des yens, ce qui pousse le Japon à acheter des dollars» pour contrecarrer la réévaluation de sa devise. «Cela maintient les flux artificiels de capitaux vers les Etats-Unis, tout en permettant à la Chine d'échapper aux accusations selon lesquelles elle "manipule sa monnaie"». Pour Michael Pettis, un ancien de Wall Street aujourd'hui professeur à l'Université de Pékin, elle commet des erreurs qui ne la mèneront nulle part. «Il y a au moins quelque probabilité que les politiques responsables à la fois de la montée vertigineuse du Japon et de sa chute également vertigineuse puissent être répétées en Chine», écrit-il. Et les Etats-Unis se passeraient plus facilement des dollars que leur prêtent les Chinois que d'exportations vers le pays le plus peuplé du monde, argumente-t-il. «L'idée que les Etats-Unis ou n'importe quel autre pays ont ‘'besoin'' de financements étrangers n'a aucun sens. (...) Le monde n'a pas besoin urgent de capital. Il a besoin de consommation».