Devant la répétition des cas, rapportés par la presse, de parents qui repartent des structures de santé sans avoir pu vacciner leurs bébés, nous avons décidé de comprendre l'origine de ces «éclipses». Nous avons remonté les différentes étapes. Des labos jusqu'à l'inoculation aux humains. Allons-y... La première remarque importante à faire est que le vaccin prévient la maladie alors que le médicament la traite. Une différence de taille qui permet de mieux appréhender le problème. Posé en termes de prévention donc, le programme de vaccination diffère d'un pays à l'autre. Selon la carte épidémiologique de chacun d'eux. C'est ainsi que dans certains pays en Europe comme l'Allemagne, l'Angleterre ou la Suisse, aucune vaccination n'est obligatoire. Tandis qu'elle l'est en Italie contre la diphtérie, la polio et l'hépatite B. Au Portugal elle ne concerne que la diphtérie et le tétanos. Chez nous la panoplie est plus grande et va de l'ancêtre BCG de la tuberculose en passant par la rougeole, la polio et le DTC-HIB qui regroupe la diphtérie, le tétanos et la coqueluche plus la méningite et les pneumonies. Sans oublier bien sûr celui de l'hépatite B, de la rage et de la grippe saisonnière. Un carnet de vaccination bien étoffé comme on peut le voir. En dépenses de santé sur ce chapitre, l'enveloppe consacrée par l'Etat pour l'importation des vaccins a été en 2009 de 2,3 milliards de dinars (un peu plus de 26 millions de dollars sur les 2 milliards de dollars de l'enveloppe totale des importations de médicaments la même année). Faut-il préciser que tous les vaccins, sans exception, sont importés? Voilà une autre différence avec le médicament où notre industrie fait ses premiers pas. Ce n'est pas la seule car il n'y a qu'un seul importateur pour les vaccins, contrairement aux médicaments. Et c'est l'Institut Pasteur d'Algérie. En fait c'est le seul monopole que tout le monde accepte tant le secteur n'intéresse pas le privé. Deux raisons au moins expliquent ce désintérêt. Les quantités nécessaires relativement faibles comparées à celles des médicaments et puis surtout la distribution. Celle des vaccins requiert des conditions très spécifiques par rapport aux médicaments. Excepté le vaccin de la grippe saisonnière qui se chiffre en millions de doses, les autres types de vaccins nécessitent des quantités plus «modestes». La plus grosse part des vaccins se calculent en fonction des naissances puisqu'ils sont destinés principalement aux bébés. Avec 600.000 naissances par an et même en y ajoutant les rappels, le marché reste peu attractif. L'enveloppe financière citée plus haut suffit à comprendre. De plus, que ce soit lors de sa fabrication, de son stockage ou de son transport, le vaccin reste une substance extrêmement fragile. La rigueur s'impose de bout en bout. Chose qui l'est moins pour le médicament. Lenteur des procédures douanières Nous n'allons pas entrer dans les considérations biotechnologiques de la fabrication proprement dite du vaccin qui sont compliquées et difficiles à rapporter au grand public. Contentons-nous, ce n'est pas rien, de dire quelques mots sur cette fragilité une fois le vaccin fabriqué et conditionné. De l'usine à l'Institut Pasteur d'Algérie ce sont des milliers de kilomètres que traverse le produit. Son stockage et la gestion de sa distribution vers les grands centres hospitaliers du pays nécessitent une expertise et un savoir-faire ainsi que des moyens appropriés. Il en va de même ensuite de son entreposage et de sa distribution vers les structures de proximité, c'est-à-dire les centres de vaccination plus connus par centres de protection maternelle et infantile (PMI). Durant ce long trajet marqué par plusieurs étapes, la vie du vaccin dépend de son maintien à une température continue située en moyenne à +4°C. Il faut également éviter son exposition prolongée à la lumière. Si c'est facile à dire, tout ceci peut s'avérer autrement plus difficile à respecter. Pour diverses raisons qui vont du sens aigu de la responsabilité des manipulateurs à la présence systématique de groupes électrogènes pour pallier les coupures intempestives de courant électrique. Des exigences loin d'être parfaitement linéaires devant le nombre important d'intervenants aux différents niveaux. La chaîne du froid reste la seule manière de conserver les vaccins en attendant la récente découverte de chercheurs britanniques de l'université d'Oxford. La revue «Science Transnational Medicine», dans son édition du 17 février dernier, a publié leur procédé de conservation qui se passe de la réfrigération. Pour l'heure, le froid est au vaccin ce que l'eau est au poisson. Sortons maintenant des propriétés du vaccin pour nous pencher sur les situations collatérales qui ont une incidence certaine sur sa disponibilité en bout de chaîne. Il y a d'abord les formalités douanières qui ne lui accordent aucune exception malgré sa position hautement stratégique. Malgré aussi sa fragilité et la nécessité de le libérer au plus vite. Malgré enfin le temps incontournable qu'il doit passer à l'Institut Pasteur pour les différentes analyses de contrôle qu'il y subit. Ce qui peut avoir un impact certain sur sa commercialisation en temps voulu. Comme solution, le directeur général de l'Institut Pasteur Algérie, le Pr Mohamed Tazir, qui est également professeur de microbiologie à l'université d'Alger et chef de service du laboratoire de microbiologie au CHU Mustapha d'Alger, que nous avons rencontré, suggère l'idée de créer une zone sous douane sur le site de l'institut pour faciliter les formalités, à défaut d'un couloir vert au débarquement. La deuxième situation et non des moindres réside dans l'organisation de l'approvisionnement en vaccins des secteurs sanitaires du pays. Une organisation qui suppose une solide logistique des moyens notamment frigorifiques, des statistiques fiables pour des prévisions au plus près des besoins réels et enfin une distribution sans faille vers les structures sanitaires de proximité relevant de leur tutelle. Autant de conditions qui, il faut le dire, ne sont pas forcément remplies rigoureusement par l'ensemble des structures en aval de l'Institut Pasteur. C'est là principalement que se situent les causes de dérégulations constatées dans les centres de vaccination que certains journalistes qualifient hâtivement de pénurie. C'est pourquoi lorsque le Pr Mohamed Tazir nous affirme que «tous les vaccins sont disponibles en Algérie», il est clair que dans son esprit il ne s'agit que des stocks disponibles à l'Institut Pasteur. Au-delà, c'est une autre histoire. Multidose et gaspillage Ceci dit certaines particularités peuvent influer sur la disponibilité en question. Il y a notamment le conditionnement multidose qui n'est pas toujours une bonne formule surtout pour le vaccin pédiatrique. Les flacons sont prévus pour dix injections et plus. Bien que les journées de vaccination sont fixées à l'avance, il n'est pas rare d'avoir seulement deux ou trois bébés à vacciner ce jour-là. Pour diverses raisons dont l'ambitieux programme de relogement (autant de déménagements) du gouvernement vient en première place. Or, un flacon multidose partiellement utilisé doit être jeté impérativement dans la journée. Ce qui génère inévitablement un gaspillage financier tout en créant une surconsommation injustifiée et donc une dérégulation du stock. Comme on peut le constater, les indisponibilités des vaccins dans les centres de santé de proximité sont à chercher dans le rythme de leurs approvisionnements et même dans le gaspillage dû au conditionnement plutôt qu'à une quelconque rupture du stock national tenu par l'Institut Pasteur d'Algérie. Accessoirement, pourquoi ne pas ajouter cet instrument qu'est l'Intranet dont s'est doté le secteur et qui relie l'ensemble des structures de santé du territoire national depuis plusieurs années? Il aurait permis dans ce cas précis des vaccins de connaître en temps réel l'état des stocks dans le plus petit centre de protection maternelle et infantile jusqu'au fin fond de l'extrême-sud du pays. Malheureusement il n'a jamais été activé. Pourquoi? Faute de constance et de rigueur dans le suivi des projets. D'organisation donc. Comme pour la distribution en général et celle des vaccins et médicaments en particulier. Avant de partir nous osons une dernière question au Pr Tazir. «Peut-on fabriquer les vaccins en Algérie?». «Pour cela il faut faire une étude de rentabilité qui, je suis sûr, sera défavorable car l'investissement est lourd et nos besoins modestes», nous répond-il avant d'ajouter: «De plus il me paraît nécessaire de ne pas occulter que nous n'avons pas de faculté de pharmacie. L'enseignement actuel dépend de la faculté de médecine. Ce qui est un handicap pour prétendre à l'excellence. Ajoutez qu'avant de penser aux vaccins il faut d'abord régler le problème de la production des médicaments. Pour cela il faut créer la spécialité en pharmacie industrielle qui, malheureusement, n'existe pas encore.» L'entretien touche à sa fin. Mais avant, nous demandons au professeur comment et qui décide des quantités de vaccins à importer. «C'est le rôle de la direction centrale de la prévention. Ensuite c'est l'Institut Pasteur qui a, dans ses prérogatives, le rôle de l'importateur et même du grossiste. C'est vrai que ce n'est pas un produit quelconque et qu'une expertise est indispensable pour cela, mais tout de même je suis triste de constater que c'est seulement cette activité que l'opinion publique semble retenir. L'Institut Pasteur d'Algérie c'est surtout l'enseignement, la recherche, la référence.» On devine dans le ton de sa voix comme un message. Nous le portons volontiers. Surtout que l'Institut ne traîne pas que cette étiquette. Son image a pris un rude coup avec les affaires actuellement pendantes devant la justice. Le Pr Tazir et son équipe nous ont donné l'impression de s'être investis totalement pour que l'Institut Pasteur d'Algérie puisse retrouver rapidement ses lettres de noblesse. Ils en sont capables.